Al-Zîr Hamlet: une pièce audacieuse mais qui manque d’osmose

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Par Florence Gopikian-Yérémian – bscnews.fr / En mettant en scène Al-Zîr Hamlet, Ramzi Choukair nous offre une relecture simultanée de deux récits universels: l’un nous conduit à la cour du Danemark dans les pas perdus du si célèbre Hamlet de Shakespeare, l’autre plonge les spectateurs au coeur des lointaines légendes arabes afin de leur faire découvrir l’histoire épique d’ Al-Zîr Salem.

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Dans ce face à face inattendu, les deux héros sont des princes en quête de vengeance: Hamlet doit châtier l’oncle meurtrier qui a usurpé le trône de son père, quant à Al-Zîr, il ne parle que d’occire les assassins de son pauvre frère, le roi Kulayb.
Chacun à sa façon déploie ouvertement les principaux épisodes de son infortuné destin afin de justifier sa vindicte: à travers son plaidoyer, Hamlet s’attaque à la conscience de son oncle, crie sa douleur et réclame désespérément justice. De son côté, Al-Zîr, recompose en détail chacune des scènes du meurtre de son frère et brandit avec force sa lame vengeresse.
Bien que leurs propos revendiquent la même cause, les deux protagonistes ne semblent pas à l’unisson: tandis qu’Al-Zîr puise sa force guerrière sur la tombe de son frère, Hamlet ne fait que s’enliser dans l’ombre spectrale de son cher géniteur. Si Ramzi Choukair a choisi de confronter ces deux héros afin de faire jaillir leurs similitudes, ce sont plutôt leurs différences qui se révèlent au fil de la pièce: Hamlet est aussi chétif qu’Al-Zîr est corpulent et il va sans dire que sa chevelure blonde et sa peau moribonde contrastent avec la stature fière et brune de son double Levantin. Par-delà leurs disparités physiques, leurs attitudes divergent également: l’un est un rêveur exacerbé qui s’apitoie continuellement sur lui-même tandis que l’autre n’a de cesse d’exhiber son honneur oriental au point qu’il finit par faire passer Hamlet pour un pantin aussi lâche qu’inactif.
Malgré les questionnements mutuels et les méditations de ces deux âmes en peine, l’alchimie des deux cultures n’opère pas. Même leurs modes de récit ne réussissent pas à se mêler: Hamlet déclame en aparté ses tirades shakespeariennes tandis qu’Al-Zîr évolue au sein de marionnettes qu’il anime à la façon d’un conteur des mille et une nuit.
Afin de créer un pont entre ces deux figures d’Orient et d’Occident, la soprano Orianne Moretti jalonne ce dialogue théâtral de douces mélodies accompagnées d’oud et de flute. Tel un lien gracieux parmi les Princes, elle incarne ponctuellement tous les rôles féminins de la pièce: déguisée en voyante, en épouse de roi ou en belle Ophélie, elle apaise les querelles et permet au récit de poursuive en musique son lent cheminement.
Même si la trame de ce spectacle demeure confuse, force est de constater que les deux interprètes ne manquent pas de talent: avec sa voix profonde aux accents de miel, Fida Mohissen nous offre un Al-Zîr Salem des plus suaves. Paré d’une chevelure ondoyante et de pupilles aussi sombres que des lunes noires, il nous fait songer à un descendant de Gilgamesh qui se serait échappé d’un bas relief mésopotamien pour venir nous conter ses exploits. A ses côtés, William Mesguich retrouve les traits de son cher Hamlet qu’il a si bien personnifié l’automne dernier sur les planches de la Cartoucherie (voir notre article: www.bscnews.fr/201411254273/Theatre/hamlet-de-mesguich-allez-donc-voir-william-le-si-bien-nomme.html). Le regard vide et mélancolique, il passe decrescendo de l’ire à la détresse pour finir ses superbes monologues dans de plaintifs chuchotements. Parfait dans ce répertoire de jeune prince à la raison ébranlée, on regrette que son lyrisme habituel ne puisse trouver sa place au sein de cette orchestration trop décousue.

Peut-être aurait-il fallu introduire les deux histoires avant même de commencer la pièce ? Les personnages entourant Salem sont si nombreux que le spectateur doit en effet se concentrer sur leurs noms et leurs actes au lieu de saisir la véritable morale qui émane du texte: dans cette partition théâtrale en forme de conte, il faut comprendre que Ramzi Choukair revendique en priorité la notion de paix. Certes ses deux Princes parlent de vengeance mais intérieurement ils savent bien que celle-ci n’a pas de sens car aucun meurtre ne fera revenir les êtres qu’ils ont aimés. Venger un père monarque ou un frère roi ne fera ressusciter personne: en ayant pris conscience d’une telle réalité, pensez-vous de votre côté qu’un homme meurtri devient un lâche s’il décide soudainement de baisser les armes face à son ennemi?
Al-Zîr Hamlet? Une étonnante réflexion sur la violence mise en scène par un auteur franco-syrien. A méditer, surtout en ces temps d’intolérance…

Al-Zîr Hamlet
D’après Hamlet de Shakespeare et Al-Zîr Sâlem réécrit par Alfred Farrag
Texte et mise en scène de Ramzi Choukair
Avec William Mesguich, Fida Mohissen et Orianne Moretti
Musique: Fawaz Baker
Costumes: Martine Ciota
Marionettes: Nour Jlassi

Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple – Paris 11e
M° Belleville ou Goncourt

Jusqu’au 10 avril 2015
Du mercredi au samedi à 19h15, le mardi à 21h15 et le dimanche à 17h
Réservations: 0148067234
www.theatregirasole.com

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