Réda Seddiki : « Deux mètres de liberté » et des blagues encore plus grandes
Il vient d’Algérie, il n’a que 27 ans et il parle de la liberté comme personne dans son dernier spectacle humoristique « Deux mètres de liberté ». Un grand monsieur qui mérite, tout de même, ce zoom.
Ce qu’on voit en premier ? Une gouffa à la Jackson five. A un tel point que ses cheveux frisés arrivent en premier sur scène et qu’ensuite, seulement, suit son corps élancé et longiligne dans un costume impeccablement coupé et repassé mais volontairement raccourci pour laisser apparaitre des chaussettes aux ronds multicolores. D’une élégance funky et d’une sobriété pas si sage, après avoir posté sa « Lettre à France » (son précédent spectacle), Réda Seddiki revient sur scène et (re)plante sa personnalité dans le décor, au centre de la pièce.
Une personnalité affirmée, affranchie, androgyne, riche, mixte, haute en couleurs mais surtout politiquement incorrecte. Sans sourciller, malgré sa jeunesse. Clairement, Réda en impose. Il attire les regards, il intrigue la salle. Une salle blindée devenue silencieuse, suspendue à ses lèvres. Mais l’humoriste ne parle pas tout de suite, il s’octroie quelques secondes. Des secondes pendant lesquelles le public le dévisage, partagé entre l’envie de rire et l’impatience de l’écouter, de le découvrir et de le voir dérouler ses deux mètres de liberté. Une liberté qu’il exploite et utilise déjà à sa guise. Le ton est donné.
Réda Seddiki, un électron libre…
Sur scène, Réda Seddiki est un électron libre. Intenable, insatiable et surtout, imprévisible. Après avoir servi un verre de thé à la menthe à une personne du public, le jeune humoriste s’autorise tout, tout en sirotant un verre de vin rouge : des blagues (qui puent l’amour) sur l’Algérie comme sur la France, des blagues sur la politique de Macron (qu’il compare au prophète Mahomet) comme sur celle de Bouteflika, des blagues sur les médias et plus spécialement BFM, des blagues sur le capitalisme, le racisme, sur la polygamie, la burqa, Daech, l’Islam, sur le monde en général qu’il qualifie de « caméra cachée »… Une série de sujets sensibles, certes, mais maintes fois tournés en dérision car hyper « tendance » et « bankable ». Et ça, Réda le sait. Alors ces blagues ne ressemblent pas à celles des autres. D’ailleurs, ce ne sont pas vraiment des blagues mais plus des questions, des pensées, des hypothèses, des théories, des réflexions. Toutes raffinées, pertinentes, pointues, surprenantes et surtout, quasiment toutes à contre-courant.
Outre son talent d’acteur et d’imitateur, un des grands points forts de l’humoriste est là : aborder des thématiques sulfureuses et sur-médiatisées avec un regard neuf, une autre approche. Le jeune homme renverse les choses. Exemple ? « Si toutes les femmes portaient la burqa, elles pourraient circuler à leur guise, totalement incognito et pister leur mari, totalement à découvert. Des maris incapables de reconnaitre leurs épouses. Et si la burqa réduisait les droits des hommes et non ceux des femmes ? ». Autre exemple : « La polygamie, c’est pas si dingue, c’est ultra-classique : Monsieur a plusieurs femmes donc les femmes en question souhaitent toujours être les préférées, donc elles se surpassent. Qui c’est que ça choque encore ce jeu de la concurrence dans une société basée sur le capitalisme ? ». Ou : « En France, vous changez tous les 5 ans de président et quand on voit le résultat, on est presque content d’avoir Bouteflika depuis des siècles. Vous nous rassurez sur notre dictature ». Ou encore : « Vous n’êtes pas très hospitaliers en France. Nous, on vous a accueillis pendant des plombes en Algérie sans rien dire et vous, au bout de quelques années, vous nous faites déjà des remarques ». Ou enfin : « On est ok que le programme de Marine Le Pen repose sur nous, les arabes ? Donc si elle est élue, un jour, c’est grâce à nous. Et donc, si elle veut un second mandat, elle sera obligée de nous faire revenir, non ? ».
Et le meilleur exemple pour la fin : « Un pote à moi, venu d’Algérie, débarque à Paris. Dans le métro, il voit une jolie fille qui a posé son sac sur le fauteuil d’à côté. Il ne la quitte pas des yeux et la nana finit par prendre son sac sur ses genoux. Vous savez ce que pense mon pote ? Qu’elle lui libère la place pour qu’il vienne s’assoir à côté d’elle ! Mon pote, comme il n’a pas le cerveau pollué par la propagande française, il pense que c’est un beau-gosse et pas une seule seconde qu’il est catalogué de voleur ». Réda Seddiki conclut : « C’est marrant, hein, comme on peut parfois devenir ce que l’autre pense de nous, comme on peut finir par intégrer ce que l’autre projette sur nous. C’est marrant hein, ces arabes qui ont presque peur d’eux-mêmes comme ma sœur qui n’ose plus passer dans certains quartiers londoniens car trop d’arabes. C’est marrant, hein, comme une information ou comme un événement peut porter un message complètement différent, parfois même opposé, en fonction du filtre, du lieu, du contexte ou de l’angle ».
… qui sous-entend que la liberté n’existe ou ne se mesure pas
Cet électron libre sous-entend pourtant que la liberté n’existe pas. Ou du moins, qu’elle ne se définit et ne se mesure pas. Ni avec des limites ni avec des mots. Qu’elle n’est pas froide, instantanée, stable, impersonnelle, concrète, figée, gratuite, universelle, égale, continue. Qu’elle n’est pas un simple chiffre ou un nombre de mètres.
Et pour étayer sa théorie sur la liberté, Réda part d’un célèbre dicton « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » et, à partir de ce point, il déroule sa réflexion : « Donc la liberté serait une distance, une distance qui se mesure en mètres. Et pour que tout le monde soient libres et égaux, il faudrait que tous les êtres humains possèdent le même espace. Donc il faudrait savoir exactement combien il y a d’êtres humains sur terre à l’instant T et diviser ce chiffre par le nombre de mètres carrés précis dont dispose la planète. Donc c’est une sorte d’équation à deux inconnus impossibles à résoudre, surtout si on rajoute le facteur de la fraternité dans le calcul. Donc la liberté n’existe pas ». Silence.
Un silence pendant lequel le jeune homme ajoute du thé à la menthe dans son verre de vin rouge. Il en boit une gorgée, grimace un peu avant de se reprendre : « Je ne peux pas trouver ça dégueulasse. Ce mélange, c’est moi. Et on est tous issu d’un mélange. Le mien, je l’aime bien. Tout comme j’aime les regards insistants et les remarques racistes, même si je ne suis pas maso. En Algérie, même si j’aime profondément mon pays, je redeviens comme tout le monde alors qu’ici je me sens unique, extraordinaire, différent ». Il boit une autre gorgée et ajoute : « Et comme dirait le petit prince : Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente ». Puis, Réda pose le verre au centre de la scène, recule de quelques pas et conclut : « Je laisse le verre ici pour ceux qui souhaitent goûter. Suffit juste de s’habituer ».
« Deux mètres de liberté », spectacle humoristique de Réda Seddiki au théâtre Lucernaire du 22 juin au 2 septembre 2018.
(Crédit photos : Philippe Toldano)