Réda Seddiki : « Les frontières sont une invention humaine qui, un jour, n’existeront plus »

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Réda Seddiki cartonne actuellement avec son one man show « Deux mètres de liberté », un spectacle aussi drôle que brillant, qui parle de la France et de l’Algérie mais aussi de la liberté, de la culture et de la politique. Sans langue de bois, ni blagues en carton. A Pigalle, Putsch l’a rencontré pour discuter de ce spectacle, progressiste et humaniste, mais pas que.

propos recueillis par

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Vous n’êtes pas beaucoup médiatisé. Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Allez, faisons connaissance ! Je m’appelle Réda, j’ai 27 ans, je mesure 1m98 (rires). Je suis né en Algérie à Tlemcen. Mon père était professeur à l’université en physique des lasers et ma mère architecte. J’ai une petite sœur. Quoi d’autre ? Je suis arrivé en France à 17 ans pour étudier les maths, comme mon père l’a fait avant moi. Les études me semblaient plus ambitieuses et plus reconnues en France qu’en Algérie.

Racontez-nous votre arrivée en France. Est-ce un bon souvenir ?

Plutôt pas mal. Je suis venu avec le statut d’étudiant, une carte de séjour et beaucoup d’attentes. Je vivais chez des amis, à droite et à gauche. J’étais livré à moi-même et j’ai adoré ça. Je recommande à tout le monde de tout quitter un jour, surtout jeune : son pays, son cocon, sa zone de confort, ses habitudes, son univers, sa famille. Ou, du moins, de s’émanciper de sa famille et de sa routine. D’être dépaysé et indépendant. Ça apporte tellement en maturité et en ouverture d’esprit.

Vous êtes donc venu étudier les maths à Paris et vous devenez… humoriste, est-ce bien cela ? Expliquez-nous.

(rires) C’est presque ça. Je me suis perdu ou plutôt trouvé. Attendez, je rembobine. Quand j’étais enfant, mon rêve était de devenir pilote de Formule 1, puis journaliste sportif. Mais j’ai finalement choisi d’étudier les maths parce que presque tout est une question de math ou de sciences dans la vie et parce que c’était plus réaliste. Ce qui n’explique pas mon métier actuel, humoriste, j’y arrive. Quand j’étais étudiant, je me suis rendu à un one man show qui coûtait 20 euros, j’avais trouvé ça cher. J’ai donc voulu rendre l’humour plus accessible et j’ai organisé des scènes ouvertes gratos à l’université. Et à force de voir ces humoristes, ça m’a donné envie d’écrire des spectacles puis de les jouer à mon tour. Et sur scène, je me suis senti en connivence avec moi-même. A la fin de mes études, j’ai écrit mon premier one man show « Lettre à France ».

Justement, dans votre premier spectacle « Lettre à France », vous confiez à la France tout ce que vous avez sur le cœur, beaucoup d’amour donc mais aussi beaucoup de déception, pourquoi?

Quand vous arrivez étudiant, vous ne vous posez pas de problème à la France. Ni de place ni de conscience. Vous découvrez le pays des lumières à travers Zola et Robespierre, à travers la culture. Vous pensez être le bienvenu, vous êtes dans votre bulle. Et puis, la réalité vous tombe dessus : chaque année, pour renouveler la carte de séjour, vous devez justifier votre présence sur le territoire, vous devez faire la queue à la préfecture, vous devez prouver que vous êtes utile et même que vous possédez 7000 euros sur votre compte bancaire, à seulement 17 ans. Ça a été le premier coup. Ces démarches m’ont paru absurdes et inhumaines et à la fois légitimes et logiques, ce qui est assez ambivalent. Quand vous êtes immigré, vous êtes reconnaissant, alors vous vous pliez au système, vous vous faites tout petit alors que vous n’êtes pas moins grand. Que vous n’avez rien à vous reprocher. Et puis, vous rentrez dans la vie active et ça se complique encore : vous faites la connaissance d’une autre France, celle qui souffre, qui a peur devant BFM, qui est au chômage, qui ne part pas en vacances et qui prends des antidépresseurs. Vous découvrez une France moins sexy mais que vous aimez encore sauf qu’elle, elle ne vous aime plus en retour, là est toute la différence. Ou le drame. Elle vous dit soudainement « casse toi » après X années de relation alors que vous, au passage, vous l’avez laissé s’installer en Algérie pendant 130 ans. Et c’est cette désillusion que je décris dans mon 1er spectacle, tout en terminant sur une déclaration d’amour, même si celle-ci va à sens unique.

Et ce spectacle  a marché, vous avez joué pendant  un an à Pigalle. Vous vous y attendez ?

Pas du tout. Je pensais jouer ce spectacle que quelques jours à Pigalle mais ça a duré un an. Ca va même plus loin : je ne pensais même pas faire rire. D’ailleurs, je ne voulais pas faire rire ou pas à tout prix. Je souhaitais, avant tout, m’exprimer et faire réfléchir. Mais je me suis aperçu qu’avec mes réflexions poussées à l’extrême et mon cynisme, je faisais marrer. Marrer et peut être penser. Après tout, on sait tous que l’humour n’est pas forcément futile ou facultatif. Bien au contraire. Il peut transmettre des messages, dénoncer des situations, être fin, militant, incisif, intelligent et courageux. L’humour est à prendre au sérieux.

« L’humour peut être fin, militant, incisif, intelligent et courageux. Il est à prendre au sérieux »

Vous revenez avec un deuxième one man show « Deux mètres de liberté » qui est un véritable succès. Vous vous adressez encore une fois, à la France. Quelle est la différence avec votre premier spectacle  ?

C’est une sorte de continuité mais l’écriture est plus aboutie. Aussi, j’ai procédé à l’envers. Dans le premier spectacle, je partais d’Algérie pour parler de la France, là c’est l’inverse, j’emmène les Français en Algérie. Je dépasse même cette histoire de frontières. L’idée est de les effacer. En tout cas, c’est que j’ai fait, personnellement et artistiquement. Je refuse de choisir entre deux pays et me couper en deux : je suis Algérien et Français ou plutôt je ne suis ni Algérien ni Français. Je suis Réda et mon identité ne se trouve ni dans mes origines ni dans les yeux des autres. Je me suis débarrassé de tout ça. Mon one man show aussi, il est progressiste et libéral comme moi. J’ai 27 ans, je suis plus mature et je m’assume entièrement. Dans ce spectacle, je souhaitais aborder tous les sujets, même sensibles, qui m’importent comme la mondialisation, l’immigration, l’Islam, avec le prisme de l’être humain et non de la nationalité ou de la culture.

« Mon identité ne se trouve ni dans mes origines ni dans les yeux des autres »

En effet, dans ce spectacle, vous osez parler de nombreux sujets politiques sensibles. Vous parlez aussi bien du gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans en Algérie que du président français, Emmanuel Macron, quel est votre avis sur leur politique ?

Je ne vais pas m’étendre sur le sujet car je suis humoriste, pas un homme politique. Je pose des questions, je ne donne pas de réponses. Mais, allons-y ! Je commence par la France. Je ne suis pas en accord avec la politique d’Emmanuel Macron car je ne partage pas sa vision populiste sur l’Europe. Je suis trop libéral. Je crois même que dans quelques années ou siècles, les frontières n’existeront plus. Elles ne seront plus qu’un mauvais souvenir. Comme la queue sans fin à la préfecture pour prouver qu’on a le droit d’exister ailleurs que dans son pays natal. Après tout, les frontières ne sont qu’une invention humaine. Et je pense qu’un jour, elles ne seront que conserver symboliquement pour être visitées, comme un musée. Un père pourra venir avec son gamin et lui montrer comment on vivait avant. Il pourra lui dire qu’avant l’argent circulait plus librement et facilement que les êtres-humains. Et le gamin trouvera ça aberrant. Inconcevable. Et en ce qui concerne la politique Algérienne, c’est simple, ça va aller vite : il n’y en a pas. Elle n’existe pas. Pas d’opposition à Bouteflika, pas de vision, pas de programme. Exceptée celui de régner. Pour moi, les Algériens sont politiquement athées et c’est pour ça qu’ils sont religieusement croyants.

« Pour moi, les Algériens sont politiquement athées et c’est pour ça qu’ils sont religieusement croyants »

Les Algériens sont politiquement athés  ? Est-ce pour cette raison, selon vous, qu’il n’y a pas eu de « Printemps arabe » en 2010 en Algérie  ?

Pour moi, il y a eu un mouvement et des revendications en Algérie mais pas autant qu’en Tunisie. La prise de parole était plus discrète et timide. Pourquoi ? Soit parce qu’en 1988, les émeutes contre le parti unique et l’armée se sont mal finies (500 morts), ce qui refroidit un peu, soit parce que les Algériens ne sont pas si mécontents que ça de leur gouvernement. Je vais vous donner un exemple pas très glamour mais parlant : quand vous avez envie de faire pipi alors que vous êtes en pleine rue, vous allez courir pour trouver des toilettes ou alors vous allez pisser dehors mais si vous pouvez encore attendre, vous allez vous retenir. De pisser, de parler, d’agir. Peut-être que les Algériens en sont là. Avec « l’envie de » mais qu’ils peuvent encore prendre sur eux. Après, je répète, je ne fais pas de politique.

Vous  ne semblez pas avoir une haute estime de la politique…

C’est vrai. A mes yeux, pour faire carrière en politique, il faut savoir manipuler et mentir. Il faut savoir bercer le peuple de douces illusions, le rassurer, le sécuriser, le séduire. C’est une façon d’obtenir le pouvoir et, par la suite, de maintenir l’ordre. On les traite d’incapables en boucle à la TV mais ils parviennent sans arrêt à leur but. Mais, attention, les politiciens ne sont pas inutiles. Chaque pays a besoin d’eux. Les pays mais aussi les intellectuels et les artistes, souvent plus populaires. C’est un équilibre. Il y a les décideurs d’un côté et les commentateurs de l’autre mais sincèrement, les places ne sont pas toujours bien définies : les intellectuels et les humoristes, même les médias, analysent et commentent l’actualité politique mais comme les hommes politiques le savent très bien, ils agissent en conséquence. Leur but étant d’être respecté par l’opinion publique. Alors qui a le véritable pouvoir au final ? Rien n’est simple et tout est interdépendant. Et puis, au fond, le problème, ce n’est peut-être pas seulement les politiciens qui mentent mais les Hommes qui déconnent. Mentir, quand on y pense, c’est une faculté seulement humaine. C’est peut-être pour ça que le monde ressemble, parfois, à une grosse caméra cachée, comme je le dis sur scène.

« Au fond, le problème, ce n’est peut-être pas seulement les politiciens qui mentent mais les Hommes qui déconnent »

Ce sont peut-être « les Hommes qui déconnent », c’est-à-dire ?

Les Hommes sont capables du pire comme du meilleur mais souvent, ils oublient de faire le meilleur. Surtout à l’échelle mondiale. Et vous savez c’est quoi le meilleur ? Le sexe. Ça va paraitre simpliste, naïf et surement déplacé mais plein de conflits pourraient se régler grâce au sexe. Comme dans un couple. Même le conflit israélo-palestinien pourrait se régler ainsi. Il faudrait qu’ils cassent le mur, qu’ils se regardent, qu’ils renouent avec leur part animal, avec leur instinct et qu’ils couchent ensemble. Ils réaliseraient qu’ils ne sont pas différents et qu’ils sont capables de s’aimer.

Vous avez un franc-parler et vous aimez provoquer, comme dans  votre spectacle, vous osez parler islamophobie, polygamie, burqa, racisme, inégalité des chances mais pas seulement,  vous parlez aussi des relations homme-femme et de la liberté. Selon vous, sommes-nous libres  ?

Non et rien que le fait de se poser la question le prouve. Quand on se demande si on est heureux, on ne l’est pas. Quand on se demande si on est libres, on ne l’est pas non plus. Mais c’est normal, la liberté absolue, totale et continue n’existe pas. Elle n’est pas de ce monde. On ne peut toucher du doigt qu’une liberté partielle et temporaire. On ne peut avoir qu’un sentiment de liberté. Un sentiment, une impression.

« Ça va paraitre simpliste, naïf et surement déplacé mais plein de conflits pourraient se régler grâce au sexe. Comme dans un couple »

Où avez-vous le sentiment d’être plus libre ? En  Algérie ou en France  ?

Je ne veux pas comparer et opposer ces deux pays. D’ailleurs, quand j’entends l’expression « choc des cultures » j’ai envie de bondir. Ce ne sont pas des cultures qui s’entrechoquent et s’entretuent mais des mœurs ou des traditions. La culture, c’est forcément positive et pacifiste. La culture, c’est des plats et des musiques. Ça ne fait pas de mal. Les mœurs et les traditions, parfois, si. Mais pour répondre à votre question, je pense être libre nulle part. Encore une fois, ce n’est qu’un sentiment.

Pourtant, être humoriste et artiste, c’est quelque part vouloir mener une vie libre non  ?

Peut-être. Sûrement, même. Mais, déjà, je ne me sens pas totalement artiste et humoriste car j’ai gardé mon boulot dans une boite de conseil. Je travaille là-bas à mi-temps pour garder les pieds sur terre, une proximité avec les gens et pour renouveler ma carte de séjour. Pour l’instant, je ne veux pas devenir français sur le papier. Ou du moins, je ne veux pas à avoir à le demander. Mais si on me donne la nationalité française, je ne la refuserai pas. Donc, là, vous voyez, je ne suis ni libre ni humoriste ou pas à temps plein. Pas encore.

« Je travaille dans une boîte de conseil à mi-temps pour garder les pieds sur terre, une proximité avec les gens et pour renouveler ma carte de séjour »

Et commenter la politique, même avec cynisme, n’est-ce pas  aussi en faire un peu  ? N’est-ce pas transmettre ses idées et vouloir changer les choses ? La réflexion n’est-elle pas l’amorce d’une action  ?

Ok, la journaliste continue à me faire trop parler (rires). Encore une fois, je ne suis pas dans le camp des acteurs, même si les frontières sont floues, je reste quand même du côté des observateurs. J’invente des blagues et non des lois. Après, évidemment, j’ai des croyances, des idées et des points de vue, je les exprime et les défends sur scène mais je n’oblige personne à les partager. Encore moins, à les suivre. En gros, si je fais rire, c’est cool. Si je fais rire et réfléchir, c’est mieux. Et si la réflexion est parfois l’amorce d’une action qui peut faire avancer les choses dans le bon sens, c’est beau.

Jouez-vous votre spectacle en Algérie aussi ? Pas de modification, pas de problème  ?

Oui bien sûr. Pas de modification et pas de problème. Enfin, c’est arrivé juste une fois. A un moment donné, dans le spectacle, comme vous le savez, je compare Emmanuel Macron au prophète Mahomet et cette comparaison est mal passée. On m’a insulté et j’ai dû arrêter le show. C’est un cas isolé.

« Dans le spectacle, comme vous le savez, je compare Emmanuel Macron au prophète Mahomet et cette comparaison, une fois, est mal passée en Algérie. On m’a insulté et j’ai dû arrêter le show. »

Votre spectacle a été prolongé sur Paris et vous êtes actuellement en tournée dans toute la France mais avez-vous eu le temps de travailler sur un 3ème spectacle ?

Je suis physiquement épuisé mais oui (sourire). Je suis un homme enceint en ce moment et je souffre grave ! J’ai des nausées, des nuits blanches, je me sens mal. Sans blaguer, je suis en pleine écriture du scénario et vous qui rédigez des articles, même si c’est un exercice différent, vous savez comme c’est jouissif mais dur d’écrire. Dur, intense, crevant et exigeant.

Et il va parler de quoi  ?

C’est dans la même veine que les précédents mais avec des réflexions encore plus poussées. En gros, pendant ces vacances d’été, je me suis barré de Paris et j’ai fait un road trip de 1800 kms en Algérie. Sans voiture, sans logement, sans portable, sans personne, sans argent. J’en avais besoin. Et là, là j’ai eu le sentiment d’être un simple être humain sur une planète sans frontières. Là, là j’ai eu le sentiment, pendant de brefs instants, d’être totalement libre. Voilà, ça va parler de ça.

 

Crédit photo : Philippe Toledano. 

« Deux mètres de liberté », one man show de Réda Seddiki  au théâtre Lucernaire, tous les dimanches à 19h jusqu’au 30 décembre 2018. 

Actuellement en tournée dans toute la France  : les dates.

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