Tale of Tales: un film baroque, cruel et merveilleux

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Par Florence Yérémian – bscnews.fr / Etrange film que Tale of Tales où le merveilleux côtoie l’effroi. Dans cette réalisation de Matteo Garrone, trois étranges histoires s’entrelacent: un roi offre sa fille à un ogre pour l’amour d’une horrible bête, une reine stérile sacrifie son époux afin d’assouvir son désir d’enfant, quant au dernier récit, il évoque le destin d’une vieille lavandière se laissant naïvement ensorceler dans l’espoir de retrouver son éternelle jeunesse…

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Ce triptyque fantastique prend sa source au coeur de légendes italiennes perpétrées depuis le XVIIe siècle par Giambattista Basile. Parmi les cinq volumes de contes de ce « Pentamerone » écrit en langue napolitaine, Matteo Garrone a porté son dévolu sur trois fables symboliques.
Afin de les mettre en scène, le réalisateur du célèbre Gomorra (Grand prix du Festival de Cannes 2008) a misé sur une très belle palette de comédiens. Il y a tout d’abord Salma Hayek en Reine de Selvascura: aussi hautaine que possessive, cette ténébreuse souveraine adule sa progéniture au point de l’étouffer jour après jour dans son propre giron. A ses côtés, apparait justement Elias, son enfant miraculeux ainsi que Jonah, son jumeau né des flancs d’une roturière; tous deux sont interprétés avec beaucoup de finesse par les frères Lees, deux jeunes acteurs londoniens aux traits proches des albinos. Saluons aussi la prestation de Toby Jones en Seigneur d’Altomonte ainsi que l’inégalable Vincent Cassel qui savoure goulûment son rôle prédestiné de souverain lubrique: aussi pervers qu’amusant, Cassel incarne avec un naturel déconcertant la figure d’un roi en rut qui ne songe qu’à son bon plaisir. Insatiablement avide de chair et de sexe, il se laisse autant séduire par un laideron (attendrissante Hayley Carmichael) que par une gracile nymphe des bois aux cheveux de feu (Stacy Martin). La scène où il découvre cette sublime créature nue au coeur d’une verte clairière est à elle seule une jouissance pour les yeux digne d’un tableau de Rossetti!

Malgré la cruauté et l’aspect sanguinolent de ces contes, ce film possède un tel esthétisme pictural qu’il en atténue la violence: certes on y croise un monstre marin sauvagement empalé, une reine maléfique dévorant un coeur dégoulinant ou une vieille femme se faisant écorcher vive pour retrouver sa peau juvénile (cette scène vous fera froid dans le dos!) mais ce côté macabre est justement contrebalancé par la théatralisation du scénario, la beauté des décors et la préciosité des costumes. En nous faisant parcourir successivement ces cours princières, ces labyrinthes de verdure ou ces grottes pleines de sortilèges, Matteo Garrone parvient à atteindre une juste mixture de sang et de féerie. A la fois baroque et satirique, son oeuvre nous fait songer à une somptueuse fresque fellinienne à mi-chemin entre le sacré et le profane : parmi la profusion de nains, de gueux et de saltimbanques, on ne peut qu’être happé par l’austérité précieuse de Salma Hayek engoncée dans sa merveilleuse robe carmin. Parée de tristesse et de sa couronne de perles, elle ressemble à une vierge baroque tout droit sortie d’une procession sévillane; et que dire de Vincent Cassel lutinant scabreusement parmi un foisonnement de filles de joie à la peau laiteuse ? En voyant ces belles-de-nuit nonchalamment alanguies sur des étoffes de velours pourpre, on a l’impression d’assister à des bacchanales mises en musique par l’excellent compositeur Alexandre Desplat (B.O d’Imitation Game, du Discours d’un roi et des deux derniers opus d’Harry Potter)
Bien que certaines scènes soient intentionnellement repoussantes – à l’exemple de l’allaitement de Dora – ou vraiment exagérées – comme le lynchage de l’ogre parmi les carcasses – on se laisse charmer par les couleurs chatoyantes, l’étrangeté foraine et surtout l’intrigue de ces trois récits qui ne cessent de s’entremêler.
En parcourant ces multiples royaumes enchantés, une morale universelle semble néanmoins se dessiner comme pour tout conte qui se respecte : à travers le destin d’un roi fou, d’une souillon crédule et d’une Madone éprise de son enfant, on se dit que l’amour et l’égoïsme ne font décidément pas bon ménage…

Tale of Tales? Méfiez-vous des contes de fées car ils sont souvent bien plus cruels qu’on ne le croit…

Tale of Tales – Le Conte des Contes
Un film de Matteo Garrone
Avec Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly, Christian et Jonah Lees, Shirley Henderson, Hayley Carmichael, Stacy Martin
Sortie nationale: le 1er juillet 2015
Déconseillé aux moins de 14 ans

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