4.48 Psychose: une introspection théâtrale qui manque de nuances
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ « A 4h48 viendra le moment de se suicider… » Dans cette étrange pièce parlant de la dépression psychotique, il n’y a pas de doute à avoir quant à l’implication de Julie Danlébac. Durant plus d’une heure, cette jeune actrice met en voix avec pudeur et précision l’obscur texte de l’auteur britannique Sarah Kane.
Isolée dans une immense robe chrysalide, elle trône au centre de la scène comme une statue antique coupée du monde réel. Aussi blanche qu’immobile, elle semble prise dans une camisole de toile qui fige son corps sans pourtant parvenir à retenir ses pensées. De sa diction lente et saccadée, elle profère ainsi d’étranges paroles: à mi-chemin entre des confessions et des appels à l’aide, elle laisse sa bouche sèche murmurer sa solitude et déverse apathiquement toutes ses angoisses. Bien qu’elle soit névrosée, cette jeune fille ne se résigne pas à devenir le jouet des médecins qui tentent de lui extraire son esprit via toutes sortes de drogues. Se défiant de ces faux guérisseurs, elle les accuse de lui voler sa raison et refuse de rester prostrée sous leur lourde trappe de silence. Partagé entre sa lucidité et ses visions, l’esprit de cette malade finit cependant par s’égarer : au fil de son discours, le désespoir le plus sombre prend le pas sur ses sentiments d’injustice et d’humiliation jusqu’à laisser triompher son envie de mourir. Les choix sont alors multiples et sans rémission: le suicide peut se faire par cachets, par pendaison ou en s’ouvrant les veines…
Un texte aussi noir mis sous la forme d’un monologue nécessite non seulement un énorme effort de concentration scénique – tel que le fournit la comédienne – mais également toute une palette d’ondulations rythmiques permettant de donner vie à ces paroles de souffrance. La mise en scène épurée d’Ulysse Di Gregorio est fort belle visuellement mais en voulant se focaliser sur l’esthétisme, elle sacrifie hélas une grande partie du texte et de son interprétation: engoncée dans son superbe linceul blanc, Julie Danlébac semble totalement anesthésiée. Ses phrases atoniques et lancinantes ne parviennent pas à traduire la colère ou le désespoir de son personnage. Pour tenir le rôle d’une schizophrène comme l’était Sarah Kane, il faut faire preuve de démence, d’épuisement, de cris ou de phases silencieuses. Nulle trace de tout cela: la prose de l’écrivaine perd ici toute sa fulgurance et son chaos. Il faut savoir que Sarah Kane a passé de long moments au sein des hôpitaux psychiatriques et que son écriture théâtrale doit se voir comme un prolongement de sa peur et de ses névroses. Auteur de cinq pièces dramatiques, elle a fini par se suicider à l’âge de 28 ans en laissant derrière elle ce tortueux opus qu’est 4.48 Psychose : croulant sous les aphorismes, les chiffres et les répétitions, cette oeuvre sténographiée se veut surtout comme un questionnement sur la folie, le rapport à l’autre et l’enfermement physique autant que psychique. Difficile d’adhérer à une oeuvre aussi obsessionnelle lorsqu’aucun cri n’en émane. On s’ennuie et l’on finit par se demander si la lecture ne se prête pas d’avantage à ce drame qu’une pièce de théâtre…
4.48 Psychose: une exploration scénique interessante mais dont le ton demeure excessivement monocorde.
4.48 Psychose
Une pièce de Sarah Kane
Mise en scène : Ulysse di Gregorio
Avec Julie Danlébac
Scénographie : Benjamin Gabrié
Costumier: Salvador Mateu Andujar
Aktéon Théâtre
11, rue du Général Blaise – Paris 11ème
Jusqu’au 21 mars 2015
Vendredi et samedi à 20h
Réservations: 0143387462
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