Big Eyes de Tim Burton: un canul’Art incroyable

par
Partagez l'article !

Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Etrange couple que ces Keane: un escroc mythomane, une pseudo-artiste totalement exploitée par son mari et une multitude de tableaux mièvres au possible. Malgré ce mauvais tiercé, les créations des Keane ont pourtant fait partie des oeuvres picturales américaines les plus appréciées des Sixties! Afin de mieux comprendre cette impressionnante imposture de l’histoire de l’art, revenons un peu en arrière…

Partagez l'article !

A la fin des années 50, la ravissante Margaret quitte précipitamment son premier mari et se retrouve en direction de San Francisco avec pour seuls bagages son portfolio de dessins et sa fille Jane, sagement assise à l’arrière de sa voiture. Débarquant dans cette nouvelle ville, elle tente de survivre en vendant ses toiles mais l’Amérique de cette époque n’octroie que peu de chance à une femme artiste, célibataire de surcroit… Margaret fait alors la connaissance de Walter, un baratineur de première jouant les peintres romantiques. Face à ses jérémiades, la belle succombe et se laisse mettre la bague au doigt pour le meilleur mais surtout pour le pire: il s’avère que Walter est prêt à tout pour gagner de l’argent. Sans aucun scrupule, il se fait donc passer pour l’auteur des peintures de sa femme et entame une mensongère ascension vers le succès. Contraignant Margaret à peindre en cachette, il traine de cocktails en vernissages et parvient de façon sidérante à faire monter la côte de ces étranges portraits d’enfants aux yeux démesurés. Doué d’un incroyable sens du business, Walter met en place une véritable usine de production de ces « Big Eyes » au point que même les posters de ces oeuvres finissent par se vendre dans tous les supermarchés du pays! Grisé par la gloire, il ne se rend cependant pas compte que son épouse dépérit en restant anonymement cloitrée dans son atelier : afin que le pot aux roses ne soit pas découvert, la jeune artiste est en effet contrainte de peindre secrètement, y compris aux yeux de sa propre fille. A la fois complice et victime de cette supercherie, la docile Margaret finira par s’enfuir, laissant son escroc de mari se dépatouiller avec son énorme mensonge…

A mille lieux des dernières créations de Tim Burton, cet étonnant biopic ne contient aucune créature ou marionnette macabre. Il met cependant en avant l’attrait du réalisateur pour le monde de l’art et précisément de l’art marginal. A travers les oeuvres kitschissimes de Margaret Keane, Tim Burton interroge son public quant à la légitimité des critiques : pour quelles raisons une peinture simple et charmante serait-elle moins appréciable qu’une création intello-avant-gardiste? En tant qu’artiste plasticien, il montre aux galeristes et aux grands pontes du milieu culturel que l’art est totalement subjectif et que chacun sur terre a le droit de lui conférer sa propre définition.
Durant son enfance, Burton a lui-même été séduit par les oeuvres des Keine. Beaucoup de ses personnages possèdent d’ailleurs des yeux aussi écarquillés que ceux des enfants peints par Margaret. L’artiste, qui est toujours vivante, raconte que Tim Burton possède certaines de ses toiles et qu’il lui a également commandé plusieurs portraits…
Par delà cet hommage cinématographique à Margaret Keine, Big Eyes souligne aussi l’impressionnant talent commercial de son époux, feu Walter. Certes il s’est accaparé l’oeuvre picturale de sa femme mais ce visionnaire a su transformer ces doucereuses toiles en un phénomène de mode considérable: copies, cartes postales, mugs… Walter a trouvé le moyen de faire entrer l’art dans tous les foyers des Etats-unis en produisant du toc en série! Lorsque l’on voit les posters des Big Eyes mis en vente au supermarché entre les barils de lessive et les boites de soupes Campbell, on peut imaginer l’avant-gardisme de ce businessman et s’amuser du pied de nez qu’il fait à Andy Warhol…
Bien que l’histoire des Keane soit incroyable, le film de Tim Burton repose essentiellement sur la prestation des acteurs Amy Adams (American Bluff, La nuit au Musée) et Christoph Waltz (Unglorious Basterds, Les trois Mousquetaires). Avec ses yeux bleus et sa coupe blonde au carré, Amy Adams nous replonge à la perfection dans les stéréotypes féminins des années 60. Pourvue d’une grande sensibilité, elle confère au personnage de Margaret une douceur mélancolique qui retranscrit avec authenticité le mal-être de cette artiste: non seulement elle ne peut accéder à la reconnaissance publique de son talent mais en plus, c’est son propre mari qui lui vole la vedette!
Ce dernier est interprété par un Christoph Waltz aussi manipulateur que menaçant. Avec beaucoup de justesse, l’acteur se plonge dans le rôle de Walter et fait de ce crapuleux mythomane un personnage embourbé dans ses propres boniments. Son plaidoyer final au tribunal de justice est l’un des meilleurs moments du film: n’ayant personne pour défendre sa cause, Walter Keine se dédouble et n’hésite pas à jouer son rôle en parallèle de celui de son avocat.
Mention spéciale également pour le comédien Terence Stamp qui interprète le grand critique d’art du New York Times, John Canaday. Avec son regard aussi glacial que soupçonneux, ce protagoniste est le seul à ne pas s’être laissé duper par le complot des Keine et les yeux si attendrissants de leurs enfants de peinture.

Big Eyes? Un biopic original et l’occasion pour la véritable Margaret Keine d’accéder enfin à sa légitime célébrité: à 86 ans, il était temps!

Big Eyes
Un film de Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Ritter, Jason Schwartzman, Terence Stamp, Jon Polito et l’enfant?,,
Les peintures ont été réalisées par Lisa Godwin
Sortie le 18 mars 2015
Durée : 1h45


Big Eyes
Big Eyes Bande-annonce VO

A voir aussi:

SELMA: une fresque poignante contre l’injustice et la ségrégation

La Sapienza: un cheminement baroque en quête de spiritualité

Cendrillon: Kenneth Branagh ressuscite magnifiquement le conte de Perrault

Kingsman: une comédie d’action typically british!

Birdman : Michael Keaton joue magistralement les Icares sous les feux de la rampe

Hungry hearts : un film dérangeant de Saverio Costanzo

Bébé Tigre : le tumultueux parcours d’un ado clandestin

Le scandale Paradjanov: le tableau poétique d’un farfadet du 7eme Art

Loin des hommes : Quelque part, dans l’immensité de la vallée, un drame camusien

My two daddies : une réflexion émouvante sur l’homoparentalité

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à