SELMA: une fresque poignante contre l’injustice et la ségrégation

par
Partagez l'article !

Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ Selma est le nom d’une petite ville en Alabama. Durant les années 60, elle a été le siège de très violentes émeutes entre les blancs sudistes et les défenseurs des droits de l’homme noir menés par Martin Luther King. Le film d’Ava Duvernay retrace en détail le combat de ces petites gens qui n’ont pas hésité à se faire matraquer pour obtenir enfin le droit de vote signé par le président Johnson. Au delà de cette quête de justice et d’égalité, cette fresque américaine remet aussi en avant le rôle essentiel de King en levant pudiquement le voile sur les doutes et les contradictions de ce grand militant.

Partagez l'article !

En 1964, un an avant les tristes événements de Selma, Martin Luther King reçut le prix Nobel de la paix pour sa lutte non violente contre la ségrégation. Grace à ses requêtes incessantes, le président Lyndon Johnson avait effectivement mis fin à la discrimination raciale en faisant voter les « Civil Rights Acts ». Pendant des années ces lois demeurèrent, hélas, totalement théoriques dans les Etats du Sud et précisément en Alabama où le gouverneur George Wallace refusa ouvertement de se soumettre à la constitution américaine. Durant la gouverne de ce terrible conservateur, tout fut mis en place pour empêcher les Afro-américains d’accéder au vote: intimidation, harcèlement, poll taxes… Cet excès de suprématisme blanc fit croitre les tensions et l’on vit se développer des organisations d’activistes noirs pour la reconnaissance des droits civiques.
Grâce à son charisme et son intelligence, le pasteur Martin Luther King fédéra la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) et enrôla les jeunesses afro-américaines dans son combat pour la déségrégation. Le film d’Ava Duvernay porte un regard admiratif sur ce leader politique qui sut demeurer complètement pacifiste dans sa lutte pour l’égalité. La sensibilité féminine de la réalisatrice ne se contente cependant pas de montrer les rouages du pouvoir et la force de ce révolutionnaire. Avec délicatesse et compassion, elle confère à Martin une humanité fort éloignée de sa figure mythique en révélant des aspects intimes et fragiles de sa personne: on découvre ainsi un orateur en manque d’inspiration ou un père de famille déstabilisé; on assiste également aux conflits de Martin avec son épouse Coretta (jouée par la très belle Carmen Ejogo) qui s’inquiète à juste titre des multiples risques d’attentat…
L’acteur britannique David Oyelowo (Lincoln, Le Majordome, Interstellar …) incarne Martin Luther King avec une grande conviction: son jeu réservé et méticuleusement authentique nous livre un homme partagé entre sa détresse personnelle, sa foi et ses idéaux politiques. Face à lui, l’arrogant Tim Roth interprète l’insupportable George Wallace : faisant preuve d’un racisme des plus radicaux, il souligne avec insistance l’imperturbable arrogance de ce gouverneur sudiste.
Parmi ceux qui entourent la figure de Martin se distingue la célébrissime comédienne et présentatrice Oprah Winfrey (La couleur pourpre, Le Majordome…). Se fondant littéralement dans le rôle de l’activiste Amelia Cooper, elle réhabilite fièrement le rôle des femmes au sein de cette lutte afro-américaine. Très impliquée dans la production de Selma, Oprah Winfrey souhaite de toute évidence remettre en avant cet épisode oublié de l’histoire afin de transmettre son enjeu universel à toutes les nouvelles générations.
On pourrait reprocher à ce film sa longueur et son excès de discours, on pourrait également critiquer Ava Duvernay d’avoir volontairement détourné certaines réalités au profit de la fiction, il faut cependant bien comprendre que Selma n’est ni un documentaire, ni un éloge. C’est un regard personnel sur le racisme et l’intolérance qui aboutissent trop souvent à des actes barbares: lorsque Ava Duvernay filme la répression des manifestations du Bloody Sunday ou l’attentat contre quatre innocentes enfants noires, elle fait magistralement éclater cette haine raciale au visage des spectateurs. Il en va de même pour le passage à tabac des afro-américains lors de la première tentative de traversée du pont Edmund Pettus: à l’époque, la violence de cette émeute fut telle que sa retransmission à la télé scandalisa tous les foyers américains qui finirent par se rallier aux militants.
Filmées comme des convois de martyrs chrétiens, les longues marches de Selma sont très poignantes. Portées par une superbe musique signée Jason Moran, elle soulignent l’émotion et le côté épique qui dominent l’ensemble de cette chronique américaine. Par-delà le titre « Glory » (interprété par Common et John Legend), on apprécie également les mélodies de Sarah Vaughan et d’Ottis Reading sans parler du très beau moment où Martin Luther King réveille Mahalia Jackson en pleine nuit pour qu’elle lui chante au téléphone un gospel au nom du seigneur.
Avec du recul, on se dit que les évènements de Selma ont eu un impact immense sur les droits civiques de l’histoire des Etats-Unis. Ces Afro-américains demandaient la fin réelle de la ségrégation et la reconnaissance du droit de vote: non seulement ces requêtes ont été obtenues mais elles ont aujourd’hui abouti à l’élection d’Obama à la présidence!
Même dans son rêve le plus fou, Martin Luther King n’aurait pu songer qu’un homme de race noire puisse prendre un jour la tête de la Maison Blanche!
« He Had a dream… »

Selma
Un film d’Ava Duvernay
Avec: David Oyelowo, Tom Wilkinson, Carmen Ejogo, Tim Roth et Oprah Winfrey
122 minutes – USA 2014
Sortie nationale: le 11 mars 2015


Selma
Selma Bande-annonce VOST

A lire aussi:

La Sapienza: un cheminement baroque en quête de spiritualité

Cendrillon: Kenneth Branagh ressuscite magnifiquement le conte de Perrault

Kingsman: une comédie d’action typically british!

Birdman : Michael Keaton joue magistralement les Icares sous les feux de la rampe

Hungry hearts : un film dérangeant de Saverio Costanzo

Bébé Tigre : le tumultueux parcours d’un ado clandestin

Le scandale Paradjanov: le tableau poétique d’un farfadet du 7eme Art

Loin des hommes : Quelque part, dans l’immensité de la vallée, un drame camusien

My two daddies : une réflexion émouvante sur l’homoparentalité

The Cut? Le réalisateur Fatih Akin brise l’omerta turque autour du génocide arménien

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à