Hamlet de Mesguich ? Allez-donc voir William, le si bien nommé!
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Hamlet est une folle histoire de meurtre et de vengeance. Son récit se situe dans la petite ville nordique d’Elseneur où l’abject Claudius vient insidieusement de tuer son propre frère pour lui dérober sa place sur le trône du Danemark et sa veuve au sein de la couche impériale. Désespéré par la mort de son père et le remariage incestueux de sa mère, le prince héritier Hamlet n’a plus gout à la vie. Un soir pourtant, il voit apparaître le fantôme du défunt qui lui révèle le nom de son « fraternel assassin ». Afin de venger son bien aimé souverain, Hamlet décide alors de feindre la démence pour pouvoir élaborer dans l’ombre le pire des châtiments…
C’est dans un décor obscur et parsemé d’étoiles que prend place la nouvelle création de Daniel Mesguich. Ce dernier connaît l’affaire sur le bout des ongles car en quarante ans de carrière, il a quatre fois mis en scène cette superbe pièce. Pour son millésime 2014, il se contente cependant d’offrir sa voix au spectre du roi mort et cède le rôle titre d’Hamlet à son fils, William Mesguich. Il y a un mois à peine, ces deux comédiens partageaient déjà l’affiche d’un très belle partition théâtrale consacrée à Pascal & Descartes au Poche Montparnasse. En se retrouvant ainsi autour de cette immense tragédie shakespearienne, leur complicité familiale ne cesse de se bonifier et réussit définitivement à nous séduire.
Chacun connait Daniel Mesguich pour ses multiples rôles et compositions: la lèvre fine, le regard italien et la glose précieuse, il a cédé à son fils l’amour du verbe mais ce dernier le conjugue pour l’instant dans un registre plus ténébreux. Le charisme de William n’est pas moindre, il est autre: le jeune acteur possède en effet un jeu sombre, souvent empreint d’une mélancolie qui sied parfaitement à la pâleur de ses traits. Pour interpréter Hamlet, il s’est vêtu d’un long manteau couleur de nuit et a recouvert sa main vengeresse d’un gant rouge sang. L’oeil égaré et la beauté macabre, il donne visuellement une tonalité parfaite à la démence de son personnage et réussit à maitriser toute la complexité de ce rôle: à la fois victime et bourreau de son oncle assassin, il murmure tour à tour ses suspicions, clame sa détresse et hurle puissamment sa rage. Tel un corbeau noir, il bondit sur les tables, se roule par terre de désespoir, manipule ses sinistres compagnons et taquine la balle aussi bien que le fleuret. Sa voix a également un timbre particulier qu’il fait osciller au rythme de ses émotions: quand il médite sur la lâcheté humaine, sa prose est sibylline, s’il souffre de l’absence de son père, elle devient plaintive et lorsqu’il menace ses ennemis meurtriers, elle se pare de rires cyniques et de raisonnances démentielles. Aux côtés de ce rôle écrasant qu’il tient haut la main pendant près de trois heures, évolue une palette de personnages un peu trop discrets: il y a d’abord sa mère, Gertrude, incarnée par Anne de Broca. Malgré son assurance et sa diction persiflante, cette comédienne reste trop en retrait et ne porte pas assez la culpabilité qui conviendrait à une veuve aussi adultérine. Il en va de même pour Ophelia qui n’affiche que peu d’interêt pour son idylle avec le jeune prince du Danemark: son côté excessivement fleur-bleue entrave la trame amoureuse ou passionnelle qui aurait pu agrémenter la pièce. Quant à Claudius, l’oncle usurpateur, il ne possède pas suffisamment de cruauté ou de perfidie pour pouvoir être l’auteur d’un tel fratricide. Fort heureusement, Zbigniew Horoks, (Polonius) nous offre un conseiller du roi des plus savoureux. Avec son exubérante crinière rousse et ses rubans versaillais, ce lord chambellan fait preuve d’une amusante maladresse et d’une hypocrisie doucereuse à souhait. Polonius surprend également toute la salle lorsque, offusqué par sa propre mort, il quitte réellement les planches et traverse les gradins du public d’un pas dépité: c’est que le comédien ne veut pas s’arrêter de jouer, ce plateau théâtral est son monde et comme le laisse entendre Shakespeare: le monde est aussi une scène!
Cette épigraphe latine qui ornait la façade du Théâtre du Globe (Totus mundus agit histrionem) semble avoir été choisie par Daniel Mesguich comme le leitmotiv de son spectacle. En effet, à travers sa scénographie, il se régale à faire fusionner la réalité et le théâtre: au sein-même de sa reconstitution historique interviennent des acteurs contemporains qui n’hésitent pas à improviser et à recomposer la fameuse tirade de « To be or not to be ». Cette intrusion audacieuse apporte un éclairage inattendu à la lecture du récit qui déstabilise le public tout en le séduisant. Bien que son adaptation soit de facture assez classique, Daniel Mesguich utilise judicieusement l’espace scénique en créant une pièce dans la pièce et en introduisant toute une palette de « double jeux »: c’est ainsi qu’Hamlet voit étrangement son reflet apparaître lors de ses errances ou de ses accès de folie; il en va de même pour Ophelia qui se duplique à plusieurs reprises afin de créer une dualité visuelle à ses conflits intérieurs.
Par delà toutes ces trouvailles scéniques, ce qui semble le plus intéresser Daniel Mesguich, c’est le texte lui-même. Pour cette nouvelle adaptation, il propose aux spectateurs sa propre traduction d’Hamlet. A ce propos, il faut savoir que la prose originelle de Shakespeare, bien que sublime, est fort complexe à retranscrire car elle regorge de rhétoriques, de métaphores subtiles et d’une foule de sous-entendus. C’est cependant avec une délectation évidente que Mesguich réinterprète ces figures de style, recompose les jeux de mots, enjolive les apartés et jongle avec les assonances. Il modernise également l’écriture poétique en y introduisant des tournures contemporaines et quelques anachronismes mais sans rien altérer au sens même de l’oeuvre car cet homme est de toute évidence un perfectionniste. Bien qu’amoureux du beau langage, il ose néanmoins laisser transparaitre la dimension ironique de cette extraordinaire tragédie. Hamlet comporte en effet une grande part d’humour et de légèreté que beaucoup de metteurs en scène éludent afin de ne pas spolier l’aspect sacré de ce monument de la littérature. Et pourtant, l’on peut rire d’Hamlet car malgré ses questionnements métaphysiques et sa pensée philosophique, cette oeuvre demeure un merveilleux divertissement!
Hamlet? Un spectacle riche, fluctuant, baroque, parfois confus certes, mais dont la fatalité vous grise jusqu’à un dénouement funeste propre aux grandes tragédies grecques!
Hamlet
de William Shakespeare
Mise en scène, traduction et adaptation : Daniel Mesguich
Assistante mise en scène : Sarah Gabrielle
Avec William Mesguich, Anne de Broca, Zbigniew Horoks, Philippe Maymat, Rebecca Stella, Eric Bergeonneau, Yann Richard, Florent Ferrier, Marion Fremont, Sarah Gabrielle, Tristan Willmott, Joëlle Lüthi.
Costumes – Dominique Louis
A la Cartoucherie : Théâtre de l’Epée de Bois
Route du Champs de Manœuvre 75012 Paris
M° Château de Vincennes
Navette Cartoucherie, à partir d’1h avant la représentation
Jusqu’au 30 novembre 2014
Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h
Réservations: 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com Cie Miroir & Métaphore
Durée du spectacle : 3h avec entracte
Crédit-Photo : Chantal Depagne Palazon.
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