Venez vous égarer dans la folie moite du Chaco

par
Partagez l'article !

Par Florence G.Yérémian – bscnews.fr/ Le Chaco est un territoire désertique situé à la frontière du Paraguay et de la Bolivie. De 1932 à 1935, cette terre a été l’enjeu d’une des guerres les plus meurtrières d’Amérique Latine. Près de cent mille combattants y ont trouvé la mort sans trop comprendre qu’ils n’étaient que les simples pions d’un conflit opposant en réalité deux compagnies pétrolières internationales…La pièce mise en scène par Jean-Paul Wenzel nous présente l’errance infernale d’un bataillon bolivien perdu dans les forêts sèches et épineuses de ce Chaco. En quête d’une hypothétique lagune, ces hommes désorientés vont devoir faire face à la soif et à la chaleur écrasante qui les épuisent. Perdant graduellement la notion des jours, la plupart d’entre eux vont être gagnés par la peur et se laisser emporter par d’étranges hallucinations.

Partagez l'article !

A la tête de cette expédition de fortune se profile le Capitaine Borlagui (Lorenzo Ariel Munoz). L’allure fière et la tête haute, il avance obstinément dans la brousse sans laisser transparaitre la détresse qui le ronge de l’intérieur: Borlagui a perdu sa boussole, sa précieuse « Brujula », et il sait pertinemment qu’à présent il ne reste plus aucun espoir de survie. Secrètement désespéré, il s’en remet à la volonté de Dieu, comme l’ont fait tous ses camarades. Tous, sauf un : le lieutenant Raoul Contreras. Contreras, lui, ne croit pas en Dieu et il refuse de mourir sans avoir combattu: quel sens cela aurait t-il pour un soldat? Au coeur de cette jungle suffocante, il va à son tour se sentir happé par des fantômes du passé et des ombres en robes noires prêtes à l’emporter au fond dune tombe. Pour se défendre contre cette mort qui se joue de lui, cet hérétique va peu à peu parvenir à transcender sa folie et créer de ses mains sa propre rédemption…

C’est avec beaucoup d’authenticité qu’Antonio Peredo Gonzales interprète le rôle complexe du lieutenant Contreras. La diction ample et enveloppante, il nous livre successivement les craintes et les divagations de son personnage qui refuse catégoriquement son absurde agonie. Hurlant de révolte et se jetant avec fougue dans la terre ocre recouvrant toute la scène, il en soulève la poussière, la respire et s’y plonge corps et âme comme un possédé. Les comédiens qui l’entourent font également preuve d’une grande exaltation. Avec une sensibilité particulière, ils s’approprient la détresse et l’accablement de ces jeunes soldats condamnés. Le fait de voir ce spectacle en langue espagnole apporte une dimension itinérante au texte de l’auteur franco-bolivien, Costa du Rels. Les répliques aux sonorités chantantes et gutturales fouettent nos esprits, les distillent et nous font voyager aux confins de la Bolivie et de sa mythologie précolombienne. Pris entre une monde fantastique et une triste réalité contemporaine, cette histoire du Chaco s’édulcore d’esprits profanes et de croyances ancestrales qui viennent se mêler à des lambeaux de catholicisme: dans cette jungle inextricable, les animaux deviennent tout simplement des démons et les hommes finissent par se confondre avec des spectres. Il en va ainsi de Susy Arduz Rojas qui incarne avec grâce la frénétique Faucheuse de la pièce. Véritable tornade funèbre, cette belle Parque dansante apporte un souffle mystique et sépulcral à la partition théâtrale de Jean-Paul Wenzel.
Ariane Mnouchkine et son théâtre du Soleil ne se sont pas trompés en accueillant la troupe Amassunu à la Cartoucherie de Vincennes. Issus de l’Ecole Nationale de Théâtre de Bolivie, les sept acteurs de ce spectacle dégagent en effet une énergie puissante et inhabituelle. Avides de prose et de planches, ils ne jouent pas pour parader mais par nécessité. Leur approche est brute, intense, vierge de toute hypocrisie. Leur interprétation est tout simplement faite de chair et de sueur car le sujet les concerne directement: chaque famille bolivienne possède parmi ses ancêtres « un égaré du Chaco », une victime de cette guerre absurde. En devenant les protagonistes de cette adaptation scénique, les comédiens de la troupe Amassunu ne revêtent pas seulement leurs masques d’acteurs, ils livrent aussi un message aux spectateurs: au siècle dernier, cette histoire vraie a touché leur petite nation; elle peut aujourd’hui s’étendre à la terre entière car, à l’exemple du capitaine Borlagui qui a perdu sa boussole pour guider ses soldats, les dirigeants contemporains ont carrément perdu le Nord! Alors, ou allons-nous? Dieu seul le sait…

Les égarés du Chaco
D’après le roman d’Adolfo Costa du Rels, La lagune H3
Mise en scène Jean-Paul Wenzel
Adaptation: Arlette Namiand
Avec la troupe Amassunu de Santa Cruz (Bolivie): Antonio Peredo, Susy Arduz, Javier Amblo, Mariana Bredow, Andrés Escobar, Ariel Munoz et Marcelo Sosa

Théâtre de l’Epée de bois
La Cartoucherie – Route du Champ de Manoeuvre – Paris 12e
www.epeedebois.com

Jusqu’au 19 octobre 2014
Du jeudi au samedi à 20h30
Samedi et dimanche à 16h
Réservations: 0148083974

Dates suivantes:
Du 28 octobre au 1er Novembre
Théâtre Saint-Gervais (Genève, Suisse)

Les 4 et 5 novembre
ENSATT à Lyon – T. 0478150505

NB: La pièce est en espagnol surtitré en Français

A lire aussi:

Un homme qui dort : la mise en scène narcotique de Bruno Geslin

Citizen Jobs? De la pomme de Steve Jobs à celle de Blanche Neige…

Hors-piste : une comédie chorale poignante

Les Cinq jours en mars de la Compagnie des Lucioles

Un mariage follement gai : un spectacle drôle et caustique

La peur : le thriller amoureux entêtant d’Elodie Ménant

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à