Un homme qui dort : la mise en scène narcotique de Bruno Geslin

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ C’est dans le giron du temple de Diane nîmois, au crépuscule, que l’on découvre Nicolas Fayol en train de griller une cigarette, par transparence, derrière des panneaux sur lesquels est projetée une séquence filmique hypnotique où l’on voit notamment l’acteur courir sur une plage et s’affronter au vent. Au dessus de sa tête, s’allumeront ensuite de petites lampes suspendues. Accompagné par un violoncelliste aux phrases discordantes, il incarne cet « homme qui dort » sur ses deux jambes, qui cauchemarde ou se laisse aller à la dérive de ses pensées…

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Que veut exactement nous faire ressentir Bruno Geslin? De nombreux spectateurs semblent très vite perplexes, puis agacés, enfin dépités devant la performance ni vraiment circassienne ni vraiment théâtrale de Nicolas Fayol. On regrette d’abord que le si beau texte de Georges Pérec soit récité par une voix off que l’on souhaiterait incarnée sur scène tant la chair de ses mots a de force et de pesanteur. De surcroît, autour ne gravite qu’une pâle caricature du  » théâtre contemporain » : utilisation d’un micro, clope au bec, minutes de défoulement hystérique, minutes de silence et de vide, costume dénué de sens, arts mêlés…et une volonté permanente de  » faire sens » hante le plateau. La symbolique plane sur chaque mouvement et angoisse le spectateur néophyte qui essaie désespérément de comprendre les signaux dont il est éclaboussé. L’aguerri s’ennuie profondément.
En outre, une autre évidence semble ici avoir été oubliée : la redondance étouffe la beauté. Or, dans cet  » homme qui dort », tout est redondant…jusqu’à voir l’acteur paraphraser de ses gestes les mots de l’auteur et s’activer avec des valises à la main dans l’espace confiné du plateau : « Marche incessante, inlassable. Tu marches comme un homme qui porterait d’invisibles valises, tu marches comme un homme qui suivrait son ombre. Marche d’aveugle, de somnambule, tu avances d’un pas mécanique, interminablement, jusqu’à oublier que tu marches. » A croire que le spectateur a l’imagination sourde.
Un seul moment de grâce, lorsque Nicolas Fayol grimpe en haut de la structure métallique et s’y agite, menaçant l’équilibre instable de l’échafaudage de s’effondrer; il y perce soudain ( et enfin!) une mise en danger, un mouvement, une mélodie du chaos qui échauffe les sens et imprime dans la conscience une  » émotion » que l’on ne doit pas au texte.
Un spectacle décevant donc.  » Dès que tu fermes les yeux, l’aventure du sommeil commence » écrit Georges Pérec. Peut-être est-ce pour cela que cette tentative théâtrale échoue sur ce roman car il est intrinsèquement étymologique au  » theatrum » de faire ouvrir les yeux…une leçon évidente au sein d’un monument de l’antiquité, non?

Un homme qui dort
D’après le roman éponyme de Georges Pérec
Adaptation, conception et mise en scène: Bruno Geslin
Avec Vincent Courtois, violoncelle et Nicolas Fayol, interprète.

Coproduction Cie La Grande Mêlée / Théâtre de Nîmes/ Théâtre des 13 Vents CDN Montpellier/ Scènes croisées de Lozère.

Dates de représentation:
Les 24,25,26 et 27 septembre 2014 au Temple de Diane ( Nîmes)

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