Palais de Glace : une plongée en apnée sourde et poétique

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/Un matin d’hiver dans un village de Norvège. Il gèle à pierre fendre. Deux fillettes, Sinn et Unn vont inconsciemment braver cette froidure hiémale qui ankylose tant de gens dans leur solitude.

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Du haut de leurs onze ans, ces orphelines de cœur, décident mutuellement de se lier l’une à l’autre par un merveilleux pacte d’amour. L’espace d’une journée, leur coup de foudre les emporte ainsi dans un monde ouaté, brassé de douceur et de complicité. Puis le silence tombe, profond et sépulcral comme une crevasse dans la neige froide. Unn disparait du jour au lendemain. Unn n’est plus. Dans cette brume du grand Nord, elle laisse derrière elle un deuil inacceptable pour Sinn, son double gémellaire.
Les années passent, Sinn approche de la trentaine mais elle ne peut oublier. Prisonnière de ce drame, elle se met alors à nous raconter tous ses souvenirs : la rencontre à l’école, les rires, les baisers dans la chambre, le secret de Unn, la promesse solennelle qu’elle lui a faite… Sinn nous parle aussi de la tante qui s’occupait de Unn depuis la mort de sa mère : une femme sobre et dévouée qui ne s’est jamais remise de la mort de sa nièce…
La confession est lente, belle, ponctuée de lointains échos et de résonnances célestes. Son ambigüité nous trouble et pourtant on écoute attentivement cette histoire d’amour fusionnelle hantée par l’ombre de la faucheuse. Passant des cris aux murmures, Sinn se libère enfin de sa promesse et de cette solitude au sein de laquelle elle est restée trop longtemps enfermée. Une page de glace peut se tourner et laisser sa place à un nouveau printemps…

La pièce de Stéphanie Loïk est une délicate adaptation du roman de Tarjei Vesaas. Afin de mettre en scène l’œuvre ensorceleuse et inquiétante de cet auteur norvégien, elle a choisi un décor minimaliste faisant honneur au texte et place au rêve. L’écriture poétique de Tarjei Vesaas s’y déploie progressivement, portée par deux comédiennes et un duo de jeunes circassiennes danseuses sur quadrisse (Pauline Barboux et Jeanne Ragu). Vêtues de jaune d’or et chaussées de talonnières de Mercure, ces jumelles équilibristes semblent léviter sur leurs fines drisses noires. Au fil du récit narré par Sinn adulte, elles symbolisent les figures passées des deux fillettes dont elles miment les dialogues enfouis à jamais dans la glace. Semblables à des naïades, elles se mouvoient au son de voix off et d’une musique lancinante. Toute en grâce et en contre-appuis, elles sont impressionnantes de dextérité. Suspendues sur leurs quatre cordes, elles s’entrelacent, s’emmêlent et se nouent au point de se confondre en une même chair comme deux sœurs siamoises. Dans ce ballet mutique et pourtant lascif, leurs visages demeurent impassibles mais leurs regards débordent de connivence.
En contrepoint de ce couple acrobatique, les deux comédiennes interprétant Sinn et la tante de Umm doivent synchroniser l’ensemble de leurs paroles en fonction de cette résonnance chorégraphique. Cela les contraint à garder un rythme narratif très structuré tout au long de là pièce sans pour autant minimiser les multiples émotions de leurs personnages. C’est avec une grande pudeur que France Darry prend les traits de la tante de Umm : sous ses cheveux d’argent, elle laisse apparaître un visage froncé aux lèvres fines et gercées. Passant progressivement de l’inquiétude à la désillusion, elle possède une voix givrée parfaite pour murmurer un tel chagrin. A ses côtés, Daniela Labbé Cabrera incarne Sinn avec une maturité enfantine. Bien qu’elle confère à son rôle une touche très juvénile, sa narration manque d’inflexion à l’exemple de sa posture trop droite et beaucoup trop statique pour exposer la douleur amoureuse qui la consume.
Outre, ces quatre protagonistes, un cinquième élément est omniprésent au cœur de cette fable symbolique : la nature. A travers le conte de Tarjei Vesaas, la nature est magnifiquement sacralisée. Grâce aux effets de lumière et de bruitages, la scénographie de Stéphanie Loïk a su conserver la froideur craquante de ces hivers norvégiens autant que les effluves d’une brume ou le son cristallin d’une cascade printanière.
L’espace d’une heure, laissez-vous donc porter dans ce labyrinthe intemporel. Tout y est fragile, onirique et sourd comme une plongée en apnée dans un Palais de glace… Ou devrait-on dire dans un mausolée…

Palais de Glace
De Tarjei Vesaas
Mise en scène Stéphanie Loïk
Adaptation Joël Jouanneau
Avec France Darry, Daniela Labbé Cabrera, Pauline Barboux et Jeanne Ragu

L’Atalante
10, place Charles Dullin – Paris 18e
Métro : Anvers, Abbesses ou Pigalle

Jusqu’au 7 avril 2014
Jeudi et Samedi 19h – Dimanche 17h – Lundi et Mercredi 20h30

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