Les frères Karamazov : une fresque familiale intense et exaltée

par
Partagez l'article !

Par Florence Gopikian Yérémian –bscnews.fr/ Ils sont quatre, presque frères… Il y a Dmitri, Ivan, Aliocha bien sûr, et Smerdiakov, le bâtard. Sous la houlette de leur crapule de père, ils tentent de vivre, ou du moins de donner un sens à leur existence.

Partagez l'article !

Ce sont les frères Karamazov et aucun d’entre eux ne parvient à trouver le juste chemin : Dmitri est un débauché qui aime la douce Katerina mais passe irrémédiablement ses nuits dans les bras de Grouchenka. Ivan fuit l’injustice de l’amour en jouant les érudits plongés dans ses livres. Smerdiakov erre au milieu de cette famille décomposée en servant de chien ou de serviteur selon les jours. Quant à Aliocha, il ne semble exister qu’à travers sa foi divine dans laquelle il se confine pour éviter toute confrontation avec la corruption du monde. Egarés dans leur désespoir, ces âmes errantes vont imaginer l’indicible : se débarrasser de leur père qui les gangrène. Une nuit, une seule, suffira alors à précipiter les Karamazov dans un destin effroyable : l’un d’entre eux occira le Pater Nostrum, offensant par cet acte non seulement son géniteur mais aussi Dieu le père…Mais qui est le coupable ?
Dans cette gigantesque fresque de trois heures, le décor est remarquablement bien pensé : une pièce centrale domine la scène entourée de chapelles à tiroir. A tout moment, ces lieux multiples interagissent en nous laissant entrevoir simultanément les occupations auxquelles vaquent chacun des protagonistes. Tour à tour, l’un sort d’une chambre, l’autre se réfugie dans un jardin et tous se croisent ou se rencontrent au fil de leurs répliques. Cela donne le vertige et crée une belle dynamique soutenue par une musique des plus envoutantes.
Les interprètes de la troupe sont talentueux et chacun apporte sa touche personnelle dans la construction des tortueux personnages de Dostoïevski. Olivier Fenoy nous offre un père bouffon et dérisoire: le regard obscène et le ventre gras, il joue les histrions, enlisé dans sa fange, et confère au récit une touche cyniquement comique. Parmi ses fils, Dmitri (Bastien Ossart) est celui qui se démarque le plus : vêtu et botté comme un cosaque, ce Mitia à la tête rasée ne cesse de hurler, de danser ou de se révolter. A l’inverse de cette figure entière et exaltée, Gabriel Milchberg compose un Aliocha un peu trop réservé. Les bras ballants et le corps replié dans les pans de sa soutane noire, il manque de foi et de ferveur. L’on perçoit son malaise de ne pouvoir agir sur ce monde rongé par le mal mais l’on souhaiterait ressentir d’avantage son dilemme face à la décadence de la race humaine créée par ce Dieu qu’il adule. Ivan (Jean-Denis Monory) de son côté, nous fait songer à une pierre tombale. Impassible et silencieux comme une énigme, le comédien fait preuve d’une grande maîtrise de ses sentiments : le mépris qu’il éprouve envers son père est joué de façon intrinsèque, quant à l’amour impossible qu’il porte à Katerina, il est exprimé avec une pudeur parfaite et pondérée. Le personnage bâtard de Smertiakov (Lorenzo Charoy) ne se révèle vraiment qu’à la fin de la pièce. A travers son superbe plaidoyer, le pauvre vaurien prend enfin la parole et extériorise avec audace tout ce qu’il a sur le cœur.
Parmi cette étrange fratrie de suppliciés, n’oublions pas la gente féminine qui les captive, les encense ou les nargue. C’est avec une grande justesse que Laurence Cordier s’accapare les traits de la noble Katerina. Il émane de cette actrice une force douce et une dignité qu’elle parvient à conserver malgré l’amour passionnel qu’elle porte à Dmitri. Le jeu de la jeune Grouchenka (Peggy Martineau) est beaucoup plus déluré. Lubrique et fantasque, l’intrigante aux boucles blondes séduit sans scrupule père et fils, mais son côté outrancier charme moins le public.
Dans la mise en scène de ce roman fleuve, Olivier Fenoy et Cécile Maudet ont pris le parti de mettre en avant la complexité de l’âme humaine à travers ses conflits familiaux, sa quête de liberté et son manque de morale. La dimension religieuse, originellement contenue dans le récit de Dostoïevski, est cependant nettement moins présente. La pièce parle de conscience et de culpabilité mais elle laisse au second plan la rédemption et le questionnement relatif à l’existence de Dieu. Il en ressort une œuvre plus rationnelle, voire plus légère. que l’originale, une sorte de drame à huis clos plutôt qu’une agonie liturgique inhérente à l’âme slave.
Ne ratez pas cette scénographie audacieuse et originale : peu de compagnies françaises osent encore aujourd’hui s’attaquer à un texte aussi prolixe…

Les frères Karamazov
D’après Fiodor Dostoievski
Traduction André Markowicz
Mise en scène : Olivier Fenoy et Cécile Maudet
Avec les comédiens du Théâtre de l’Arc en Ciel : Olivier Fenoy, Bastien Ossart, Jean-Denis Monory, Gabriel Milchberg, Lorenzo Charoy, Laurence Cordier, Peggy Martineau, Julien Marchand, Bertrand Boss, Jean-François Singer, Léo Pochat, Sophie Milchberg et Romane Bricard

Théâtre de l’Epée de Bois – La Cartoucherie
Route du Champs de Manœuvre
Paris 12e – M° Château de Vincennes

– Jusqu’au 13 avril 2014
Du mercredi au samedi à 20h30
Les dimanches à 16h
Réservations : 0148083974

– Du 4 au 15 février 2015
Du mercredi au samedi à 20h30
Les dimanches à 16h

A lire aussi:

Scapin ? Une fourberie inachevée!

Faust et usages de Faust : Quand le diable tire les ficelles

Trop d’amour maternel peut parfois mener au matricide… Démonstration scénique

Mémoires d’Hadrien : l’ultime épilogue d’un empereur humaniste

La Genèse de Michel Onfray : un spectacle intimiste dans les entrailles du philosophe

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à