11 Septembre : Il y a 20 ans, le commandant Massoud alertait déjà le monde

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Écrivain, Jean-Marie Montali a été grand reporter avant de diriger plusieurs journaux et magazines. Depuis le début des années ’90 et jusqu’en 2006, il s’est rendu de nombreuses fois en Afghanistan où il a suivi le Commandant Massoud. Il est le seul à qui le légendaire « Lion du Panshir » a accepté d’écrire une lettre pour expliquer la guerre en Afghanistan. Cette lettre (*) que Putsch a été autorisé à publier, a été écrite à la fin du mois de novembre 1998 par le Commandant, et publiée le 5 décembre de la même année dans le magazine pour lequel Jean-Marie Montali travaillait. En introduisant le texte de la lettre, Montali nous livre des souvenirs très personnels de cet afghan qui se battait pour défendre la liberté, en Afghanistan et dans le reste du monde.

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(Par Jean-Marie Montali). Le 9 septembre dernier, des Afghans de France étaient réunis au Trocadéro pour se souvenir du Commandant Massoud. Pourtant, beaucoup d’entre eux étaient à peine nés, ou très jeunes, lorsqu’il a été assassiné par deux barbares de Dieu le 9 septembre 2001.
Les organisateurs de cette manifestation m’avaient prévu sur la liste des orateurs, avec le frère du Commandant. J’ai refusé cet honneur.

Bien sûr, qu’ils me pardonnent, mais que pouvais-je dire ?  Leur parler du courage de Massoud ? De sa loyauté envers son peuple? De son intelligence, de sa générosité ? De son indulgence religieuse ? Tout ça, ils le savent déjà. Leur dire qu’en abandonnant Massoud, l’Europe a aussi trahi ses idéaux et que nous en payons encore les conséquences aujourd’hui ? Ils le savent également. J’aurais pu leur parler de cette façon qu’il avait de tenir sa fille à bout de bras en disant combien il l’aimait et à quel point c’était important qu’elle aille à l’école… J’aurais pu dire ses projets pour son fils, sa passion pour l’architecture, raconter ce soir d’hiver où il m’a apporté des couvertures sur le front parce qu’il avait peur que j’ai froid. J’aurais pu même avouer ce que je ne lui ai jamais dit : son Nescafé, qu’il m’a servi pendant des années, n’était vraiment pas bon. Mais je le buvais quand même, en silence, parce qu’il était content de m’en offrir et que j’étais heureux comme ça. J’aurais pu leur parler de nos conversations jusque tard dans la nuit. On parlait de la guerre bien sûr, des amis morts, de la paix, de la religion. Et puis de la France, de Paris, du général de Gaulle, de la Résistance, de Zidane… On parlait des hommes, des femmes, de l’éducation. On parlait du goût des pastèques et de celui du raisin. Et Massoud riait quand je lui disais que les meilleures pastèques étaient celles de mon village, en Italie. Il se servait une tasse de thé vert et pour moi, il avait trouvé ce vieux pot de Nescafé qu’il me gardait. On grignotait des amandes entourées de sucre. Il me disait que je pouvais fumer, que ça ne le dérangeait pas. De temps en temps, il me faisait traduire un poème. Il aimait bien que je lui décrive les terrasses parisiennes. Il aimait Paris comme seuls les étrangers savent l’aimer, et à chaque voyage je lui apportais un beau livre sur cette ville. Il le feuilletait en souriant, et quand il souriait ses rides se creusaient jusqu’à l’os. Il avait un visage d’épervier. Finalement, il est venu à Paris. C’est là que je l’ai vu pour la dernière fois. C’était le 6 avril 2001. C’est là qu’on a fini de le trahir. J’aurais pu, j’aurais dû, lire à ces jeunes Afghans  cette lettre qu’il m’avait écrite en novembre 1998 et que je relis aujourd’hui. Il avait toujours refusé d’écrire quoi que ce soit pour qui que ce soit. Là, il a accepté. Peut-être parce que je le suivais depuis des années. Ou peut-être qu’il savait sa situation presque désespérée et devinait que le salut de l’Afghanistan était désormais entre les mains de la communauté internationale. Ce texte a été publié dans le magazine pour lequel je travaillais alors. Il est passé presque inaperçu, sauf peut-être auprès de ceux qui aimaient l’Afghanistan comme je l’aime. C’est dommage : sa lettre dit beaucoup de choses que nous aurions dû entendre.  Et nous payons encore les conséquences de cette surdité. Quel gâchis ! Mais je n’ai rien dit et je suis parti discrètement en pensant à l’Afghanistan. Aujourd’hui c’est un pays sans têtes et sans cadres. Les écrivains, les journalistes, les enseignants, les médecins, les architectes, les ingénieurs, les juristes, les diplômés de toutes sortes, les entrepreneurs et les gros commerçants sont partis avec leurs bagages et leur descendance. A jamais. Les uns pour fuir les communistes, d’autres les fanatiques musulmans et d’autres encore, les combats, la misère, la famine et le désespoir. L’Afghanistan est un pays décapité. Et je me suis souvenu à quel point l’éducation était importante pour Massoud. Alors j’ai su ce que j’aurais dû dire à ces jeunes Afghans du Trocadéro : étudiez ! Etudiez ! Etudiez !

Jean-Marie Montali (©H. Montali)

 

Jean-Marie Montali est l’auteur de plusieurs ouvrages : « Y-a-t-il une vie après la prison » (Tallandier, 2006), Omerta dans la police (avec Sihem Souid. J’ai lu, 2012),  « Je vous écris, Maman. Mozart, De Gaulle, Baudelaire, Hemingway,… Leurs plus belles lettres  » (Éditions de la Martinière, 2013),  » Dieu est-il périmé ? – Paroles humaines, parole de feu » (avec le Cardinal Philippe Barbarin. Éditions de la Martinière, 2015), « Au café de France » (Cerf, 2018).

 

 


Lettre du Commandant Massoud“Au Nom de Dieu (1)Depuis dix ans que l’Armée rouge a évacué l’Afghanistan (2), la guerre continue et le bain de sang n’a jamais cessé.Quelles en sont les raisons ? et qui sont les responsables de cette situation ?D’ordinaire, le reste du monde considère que c’est à cause des seuls Afghans : on explique que la durée du conflit est due aux luttes pour le pouvoir, ou bien encore aux divisions ethniques et linguistiques du pays.Cette vision ne peut être que partielle. A mon avis, on ne peut pas comprendre cette guerre sans deux autres raisons très importantes.D’abord, l’Occident a oublié l’Afghanistan. La défaite de l’Armée rouge et l’éclatement de l’Empire soviétique ont soulagé l’Occident, et l’Afghanistan, après avoir été en première ligne contre le communisme n’a plus intéressé les pays de l’Ouest.
Ensuite, l’évolution de la politique pakistanaise qui cherche à devenir une puissance régionale. depuis toujours, il existe entre nos deux pays un différend frontalier à propos de la ligne Durand (3), et le Pakistan essaie de profiter d’une situation instable pour asseoir sa puissance. La tâche lui a été facilitée, dès le début du djihad contre les Soviétiques, par l’existence de millions de réfugiés, et par l’installation au Pakistan des principaux partis de moudjahidin afghans : toutes les conditions étaient réunies pour que le gouvernement pakistanais puisse exercer son influence dans certains milieux afghans. D’autant qu’il a réussi à prendre le contrôle de l’aide internationale destinée aux réfugiés et aux moudjahidin. Une aide qu’il a manipulé en renforçant les seuls éléments qui lui étaient favorables.
C’est ainsi que, en infiltrant les partis afghans et en jouant – auprès de la communauté internationale – le rôle de représentant des moudjahidin, le Pakistan a, d’une manière planifiée, empêché l’unité et la coordination des différents groupes de résistants.

 

L’état-major pakistanais pensait alors pouvoir renforcer sa sécurité nationale d’une part, et élargir sa zone d’influence politique et économique d’autre part. Le point culminant de cette stratégie étant la création en Afghanistan, d’un gouvernement à la solde du Pakistan. Les Pakistanais pensent en effet que, en plaçant l’Afghanistan sous leur protection, ils obtiendraient un certain nombre d’avantages.
• Une profondeur stratégique. Depuis sa création, le Pakistan a des relations tendues non seulement avec l’Afghanistan, mais aussi avec l’Inde à propos du Cachemire (4). Il se sent menacé à la fois au nord et au sud. c’est pour cela que, du point de vue pakistanais, le gouvernement fantoche en Afghanistan aurait non seulement un intérêt économique, mais aussi un avantage primordial pour sa propre défense. C’est une question vitale : en cas de conflit avec l’Inde, cela lui donnerait une grande profondeur stratégique et renforcerait d’autant sa capacité de résistance.
• Faire main basse sur les ressources naturelles non exploitées de l’Afghanistan.
• Utiliser l’Afghanistan comme un tremplin pour exporter son influence vers le reste de l’Asie centrale, et utiliser notre pays comme une route de transit vers cette partie du monde.
• En finir une bonne fois pour toutes avec le contentieux né de la ligne Durand. Un Afghanistan stable, victorieux et en paix pourrait demander une rediscussion du traité frontalier.

En prenant en considération tous ces problèmes, le Pakistan aborde la question afghane comme un sujet de sécurité nationale. Dans ce contexte, sa politique concernant notre pays n’est pas traitée par le ministère des affaires étrangères. Elle l’est par les militaires pakistanais. C’est pour cela qu’un changement de ministre des Affaires étrangères n’a jamais rien changé à la situation.
La chute du régime communiste du docteur Najibullah (5), au printemps 1371 de notre calendrier hégire solaire (6), et la victoire des moudjahidin de la Choura-e-Nezar (7) ont été très mal interprétées par les services secrets pakistanais. Pour eux, c’était un échec doublé d’une honte parce qu’ils avaient misé sur d’autres groupes afghans, et que ces groupes n’ont pas participé à la prise de Kaboul. En outre, la création d’un jeune gouvernement moudjahidin à Kaboul a sensibilisé à l’extrême le Pakistan : c’était un gouvernement de gens victorieux du communisme, et détenant des quantités considérables de matériels de guerre et d’armes, comme les missiles Scud ou les Stingers américains.
Les militaires pakistanais n’ont pas eu le courage de reconnaître leurs erreurs, et se sont alors employés à affaiblir le gouvernement des moudjahidin. En utilisant, bien sûr, les divisions qui pouvaient exister entre les différents groupes.
Dans un premier temps, ils ont encouragé et armé leur ami de longue date, Gulbuddin Hekmatyar (8). Ils l’ont incité à se rebeller contre le gouvernement des moudjahidin. L’idée des militaires pakistanais était qu’il fallait remplacer le communisme par un autre extrémisme : l’extrémisme islamique. Ils ont utilisé la religion et en ont abusé pour soutenir Hekmatyar, pourtant déjà connu pendant le djihad pour ses violences. Mais heureusement, le monde a pris conscience assez rapidement de l’erreur pakistanaise. Car on connaissait les liens très serrés qui unissaient Hekmatyar aux réseaux terroristes à travers le monde, et on savait son implication dans certains tueries qui ont endeuillé plusieurs pays.
Dès que la faiblesse de Hekmatyar s’est fait sentir, le Pakistan a aussitôt créé un autre groupe extrémiste, tout aussi violent. Ce sont les taliban.
En manipulant ces gens ignorants, les militaires pakistanais espèrent étendre leur influence jusqu’à l’Asie centrale qui cherche aujourd’hui désespérément ses racines dans l’islam.
Or le Pakistan ne peut pas, à lui seul, supporter politiquement et économiquement le mouvement des taliban. Il a donc trompé les États-Unis d’Amérique et l’Arabie Saoudite pour leur faire payer la facture de cette aide.

Le Pakistan n’a jamais présenté les taliban comme un groupe fondamentaliste. Mais plutôt comme un mouvement rétrograde sans aucune ambition extraterritoriale, dont l’action ne se limitera qu’au territoire afghan. Tout en les présentant comme la seule force tampon contre l’Iran. Le Pakistan a fait croire aux Américains que, par l’intermédiaire des taliban, ils pourraient faire pression sur l’Iran à partir des frontières de l’est. Et, afin de réduire une éventuelle réaction de l’Occident face à la politique d’apartheid des taliban à l’encontre des femmes et des jeunes filles, le Pakistan a parlé d’une simple tactique provisoire.
Les Américains ont cru que la victoire des taliban pouvait présenter un intérêt économique pour eux. Le projet de gazoduc qui doit traverser le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde était basé sur cette espérance : les Américains voulaient en tirer un maximum de profits.
La grande erreur des États-Unis a commencé pendant le djihad, lorsqu’ils ont fait confiance au Pakistan pour mener la politique afghane et gérer les rapports avec les partis politiques des moudjahidin afghans. Une attitude qui, petit à petit, a laissé les États-Unis à la remorque du Pakistan dès qu’il s’agit du problème afghan. les États-Unis ont accepté de ne voir l’Afghanistan qu’à travers la lunette pakistanaise.
Après la chute du régime du docteur Najibullah et la victoire des moudjahidin, les Américains ont persévéré dans leur erreur, en dépit de la politique d’ingérence poursuivie par le Pakistan, en contravention avec toutes les lois du droit international.
Le résultat de cette politique pakistanaise, c’est que l’Afghanistan est devenu le plus grand producteur-exportateur de drogue, et la plus grande base de terroristes au monde. Pour ceux qui suivent la situation afghane, il est intéressant de noter que les pays du monde libre et les Nations unies ne tirent aucune leçon de toutes ces erreurs tant qu’ils n’ont pas eux-mêmes été victimes du venin des taliban.
Madame Emma Bonino, le premier représentant européen, a été arrêtée à Kaboul avec ses compagnons, et menacée pendant plusieurs heures par les taliban. Le monde aurait dû en tirer des conclusions et se préparer à les contrer.
Après la prise de Kaboul par les taliban au mois de Mizan 1375 (septembre 1996), le bureau des Nations unies a été attaqué et envahi, et le docteur Najibullah, qui y avait trouvé asile, a été pendu. Cela démontrait, si besoin était, que les taliban n’ont aucune considération, aucun respect de l’ONU. D’ailleurs, un an plus tard, un haut responsable de cette organisation a été humilié et battu par un chef taliban.
Autant d’exemples qui auraient dû suffire pour que l’ONU apprenne à connaître les taliban. Mais la faiblesse de cette organisation, sa timidité, a aussi été la cause de la mort de Carmine Calo. Cet officier italien en poste à Kaboul a été assassiné le lendemain des tirs américains sur la base d’Oussama ben Laden.
Le fait que les Américains aient délégué leur politique afghane aux seuls Pakistanais explique leurs échecs depuis deux décennies. Les Américains ont suivi le Pakistan dans leur soutien à Gulbuddin Hekmatyar, jusqu’à l’explosion du World Trade Center à New York (9). Il a été démontré que les terroristes avaient été entraînés dans les camps de Hekmatyar. Quant à leur bienveillance par rapport aux taliban, elle est quelque peu remise en cause avec les attentats contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya (10).

J’attire votre attention sur le fait que mollah Omar, le chef suprême des taliban, et ben Laden sont unis par un lien de sang (11). Ben Laden a trouvé refuge auprès de mollah Omar qui lui apporte un soutien explicite. Monsieur Turky al-Fayçal, le chef des services de renseignements saoudiens, s’est rendu à Kandahar pour demander aux taliban de livrer Oussama ben Laden. Les taliban l’ont injurié et humilié (12).
Il faut comprendre que les taliban ne se considèrent absolument pas coupables de ces actes terroristes. Ils attendent au contraire les remerciements des Saoudiens pour la mort des kafirs (les infidèles, NDLR), mort pour laquelle ils considèrent que Dieu les a déjà bénis.
A mon avis, il n’est pas si difficile de connaître la vraie nature des taliban. Ce sont des gens qui prennent leurs mères et leurs sœurs pour des kaniz (des servantes), et leurs frères pour des ghulam (des esclaves). Et si l’Occident et le monde arabe n’ont pas été capables de voir une réalité si claire, si évidente, c’est que le jeu politique pakistanais les a trompés et aveuglés.
Mon point de vue sur la politique pakistanais est très clair : chaque pays a le droit de penser à ses intérêts nationaux et internationaux. Malheureusement, pour mettre en application sa stratégie afghane, le Pakistan utilise les moyens les plus injustes et les plus arbitraires que l’histoire ait jamais connus.
Le gouvernement pakistanais arme et manipule des bandes à sa solde, puis les encourage à se battre et à mettre en place dans notre pays des blocus, afin d’empêcher les biens et les personnes de circuler. Il s’agit de laisser à notre peuple des cicatrices profondes et douloureuses.
Des centaines de chars et de véhicules ont été dynamités par des éléments pro pakistanais. Les morceaux de métal ont été vendus sur les marchés du Pakistan.
La destruction des canaux d’irrigation et des barrages a été planifiée puis exécutée.
L’agriculture est au point mort.
Les arbres des forêts sont débités sans pitié, et le bois se vend au Pakistan sans aucune restriction.
Les monuments historiques ont été détruits. Les pièces du musée de Kaboul sont bradées au Pakistan.
Sous différents prétextes fallacieux, les fonctionnaires du gouvernement ont été renvoyés ou emprisonnés dans certains cas. Toute structure administrative de l’Afghanistan a été anéantie de cette manière. Les écoles et les madrasas (écoles religieuses) ont été fermées. Tandis que le Pakistan encourageait la création d’écoles pour jeunes réfugiés afghans à Peshawar et à Quetta. Les gens ont donc été obligés de quitter leur pays, obligés de perdre leur fierté nationale et leur identité patriotique. En provoquant les divisions au sein des groupes ethniques et des partis politiques des moudjahidin, le Pakistan a obtenu la désintégration de l’armée afghane. La majorité des officiers de l’ancienne armée se retrouvent aujourd’hui dans les rues des villes pakistanaises. Ils sont réduits à travailler comme de simples ouvriers du bâtiment pour gagner leur vie.
Ces divisions ethniques et linguistiques, exacerbées au sein de la population afghane par les militaires pakistanais, ont provoqué une guerre sanglante et sans précédent dans notre pays. En été dernier, par exemple, lors de la prise de Mazar I Sharif par les taliban, des milliers de personnes ont été tuées à cause de leur origine ethnique ou de leur appartenance religieuse (13). La haine provoquée par ces divisions se propage comme un incendie, et les taliban poursuivent une politique de purification ethnique. Des milliers de familles ont été contraintes au déplacement géographique, et des centaines de femmes et de jeunes filles ont été enlevées.

La situation des femmes dans les zones contrôlées par les taliban est désastreuse et pire que tout ce que l’on sait déjà. Ils considèrent la femme comme un être qui n’a ni le droit de travailler, ni celui de s’éduquer. Elle n’a pas non plus le droit de sortir librement de chez elle. et même leurs soins dans les hôpitaux ne sont pas autorisés.
Ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan n’est pas qu’une simple guerre. C’est une véritable tragédie qui contamine chaque jour un peu plus les pays de la région : ils risquent de connaître bientôt la même situation. En effet, l’entraînement, à la frontière afghane, de centaines de terroristes par les officiers pakistanais et leurs collaborateurs taliban pourrait étendre rapidement la guerre aux pays voisins. Dans ces régions, il y a des combattants du Cachemire, des rebelles de Ferghana (une vallée en Ouzbékistan, NDLR) et de la province chinoise du Xin Chiang (14), formés et entraînés militairement dans les camps terroristes.
Enfin, avec l’élargissement de la zone sous contrôle des taliban, la culture du pavot augmente. Selon les derniers chiffres connus de cette année, l’Afghanistan a produit 3 200 tonnes d’opium. Ce qui représente un accroissement de 16% par rapport à l’année dernière.
Les taliban ont établi sur l’opium une taxe de oschor (terme religieux pour l’impôt, elle s’élève à 10% NDLR). Cette taxe explique trois choses :
le renforcement de la capacité financière des taliban ;
la légalisation religieuse de la culture du pavot (15) ;
l’encouragement des paysans à pratiquer cette culture.
Les chefs taliban et des officiers supérieurs pakistanais ont une implication directe dans le trafic de drogue. Chacun fait transiter sa part par voie aérienne ou terrestre jusqu’en Asie centrale, puis vers l’Europe et les États-Unis.
Mes compatriotes et moi-même attendions que, après la victoire contre le communisme, le monde entier nous remercie et nous aide à soigner les blessures du djihad. Notre peuple musulman s’est sacrifié pour sauver la vie de millions d’hommes dans le monde, et pour défendre la liberté.
Mais le Pakistan a planté un couteau dans le dos de notre peuple. Les États-Unis n’ont écouté que le Pakistan, et l’Europe a adopté une attitude d’indifférence.
Il faut pourtant que le monde sache que le danger des taliban n’est en aucun cas moindre que celui du communisme.
Il est encore temps d’y faire face.
Une fois encore, le peuple afghan se retrouve en première ligne contre le terrorisme, contre la drogue, contre ceux qui nient les droits de l’homme et qui, en fait, ne reconnaissent et ne respectent rien.
A l’intérieur du pays, le peuple est prêt à se battre. Il attend le moment opportun pour se révolter.
Et ce que le monde peut faire pour nous aider à arrêter cette tragédie humaine ne tient qu’en deux seuls points :
une aide humanitaire d’urgence au peuple afghan ;
faire pression pour l’arrêt des ingérences pakistanaises.

Commandant Massoud.”

Détail de la signature du commandant Massoud (©Jean-Marie Montali, reproduction interdite)

 

 

(*) La lettre du Commandant Massoud appartient à Jean-Marie Montali qui a autorisé Putsch à la publier.
Toute reproduction et traduction (même partielles) peut être publiée qu’avec l’accord express de son propriétaire.
Dans la photo à la une le commandant Massoud avec Jean-Marie Montali, ©Stephen Dupont.

NOTES

  1. Formule traditionnelle utilisée au début de chaque document officiel
  2. Le 15 février 1989.
  3. Du nom de l’officier anglais, Mortimer Durand, qui, en 1893, a tracé la frontière entre les deux pays.
  4. Ancien État de l’Inde, aujourd’hui partagé avec le Pakistan. depuis 1947, les deux Etats revendiquent cette région.
  5. Le 9 mai 1986, Najibullah devient le président du pays après avoir été le chef du Khad, la très redoutable police secrète.
  6. Avril 1992.
  7.  » Conseil du nord « , une organistation de la résistance afghane créée par le commandant Massoud.
  8. Gulbuddin Hekmatyar appartient au Hezb-e-Islami, un parti violemment anti-occidental. C’est pourtant lui que les Américains avaient choisi de soutenir pendant la guerre.
  9. Hekmatyar a proposé l’asile politique à Omar Abdul Rahmane, le cerveau de l’attentat contre le World Trade Center de New York (six morts et un millier de blessés le 16 février 1993).
  10. Ces deux attentats du 7 août 19998 ont fait 252 morts (dont 12 Américains) et plus de 5 000 blessés.
  11. Mollah Omar aurait épousé l’une des filles d’Oussama ben Laden.
  12. D’après des sources proches du commandant Massoud, cette démarche a été effectuée à la demande des Américains. Les taliban auraient accusé le chef des services de renseignements saoudiens d’être  » la prostituée des Américains « .
  13. Le commandant Massoud fait ici allusion au massacre des Hazaras, une ethnie d’obédience chiite, alors que les taliban sont sunnites. d’après Massoud, environ 6 000 personnes ont été assassinées dans la ville de Mazar. d’après le chef du Hezb-e-wahdat, le Hazara chiite Mohaqiq, les taliban auraient massacré plus de 20 000 personnes dans cette région.
  14. Une région où la présence musulmane est importante.
  15. Cette légalisation religieuse du pavot est beaucoup plus forte qu’une simple légalisation civile

 

 

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