Printemps des Comédiens : l’épique Procès de Krystian Lupa

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Le spectacle-fleuve du metteur en scène polonais est l’un des événements du Printemps des Comédiens. Verdict.

Cinq heures de théâtre et ambiance kafkaïenne au domaine d’Ô. Immergé dans l’onirisme de la pièce de Krystian Lupa, il faut malgré tout rester attentif pour saisir l’immensité de son travail : la sublime scénographie jusqu’aux performances des acteurs totalement investis, est époustouflante. Le spectacle se transforme en véritable épopée et en vibrant hommage à l’œuvre de Kafka.

Plus fantomatique que le film d’Orson Welles de 1962, plus politique que le livre, Le Procès version Lupa garde néanmoins toute sa folie légendaire. Nous ne parlons pas des cinq heures de performance mais bien des situations aberrantes, irréelles, dans lesquelles se retrouve Josef K., accusé arbitraire.

La politique s’invite dès l’ouverture du spectacle avec un débat télévisé sur un écran plat très contemporain, spectre d’un pouvoir polonais qui installe son emprise sur la société, les médias, la vie culturelle. Dans cette réalité, Lupa avait d’ailleurs interrompu les répétitions de la pièce pour protester contre la nomination d’un acteur proche du pouvoir en place. Quand les personnages, un livre entre les mains, évoquent une hypothétique année 2017, ils la qualifient de « science-fiction », ils se demandent comment ils en sont arrivés là, pourquoi ils n’ont rien vu venir. Difficile de ne pas voir dans ces séquences l’inquiétude d’un pays.

Sur ce Procès, Lupa dira : « C’est moi, c’est nous – Nous qui sommes arrêtés… L’errance continue, le vol au cœur de la sombre absurdité, l’absurde échange avec l’homme d’en face, qui ressemble étrangement aux absurdités et aux échanges issus de nos réalités polonaises récentes… ». Chez Lupa, quand Josef K. fuit la folie des autres, il est nu, dépouillé de toute personnalité ou de ses droits les plus élémentaires.

Cette absurdité, cet arbitraire, le mystère et la provocation de cette arrestation, c’est avant tout un combat inégal contre l’inconnu, une réflexion sur les Lois immatérielles qui régissent nos sociétés. A bien des moments, nous avons pensé au cinéma de David Lynch ou de Terry Gilliam. Voire à Patrick McGoohan dans le Prisonnier. Et c’est un compliment. Cauchemar ou réalité ? La mise en scène ne le dira pas, tout comme on ne saura toujours pas, pas plus que monsieur K. lui-même, s’il est coupable ou innocent, de quoi il est accusé… Tout s’entrechoque, se mélange et le voyage, c’est ce qui compte ici : les êtres sont des brindilles que l’on peut briser par les procédures, jusqu’à ce que nous sombrions dans la folie, ou que nous perdions nos âmes. Et montrer un spectacle comme Le Procès au Printemps des Comédiens n’a absolument rien d’absurde.

 

Le Procès
D’après Franz Kafka
Mise en scène, adaptation, décors, lumières : Krystian Lupa

Prochaines dates en France :
20 au 23 septembre 2018 – Odéon Théâtre de l’Europe, Paris
26 au 30 septembre 2018 – Festival d’Automne, Paris
16 et 17 novembre 2018 – Théâtre du Nord, Lille

 

( Photo ©Magda-Hueckel )

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