Le sourire d’Audrey Hepburn : un instant gracile et délicat
Par Olivier Fréfaville-Gratian D’Amore – Une ombre brune, un voile de tristesse, plane sur l’évanescent sourire d’Audrey Hepburn. Une absence, celle de son père, l’empêche de s’épanouir, d’avancer. De lui, elle n’a que de rares souvenirs tendrement chéris et la marque au fer rouge de son engagement idéologique derrière les nazis. Avec beaucoup de délicatesse, Clémence Boulouque saisit les pensées, les doutes de la célèbre comédienne avant d’improbables retrouvailles avec celui qui l’a abandonnée trente ans plutôt.
Malgré la mise en scène trop retenue de Jérôme Kircher qui nous tient à distance, Isabelle Carré illumine la scène de sa douce chaleur, de son charme discret, et nous emmène avec une grâce infinie jusqu’à Audrey, la femme, la fille, la mère.
La critique. Dans un halo de lumière, assise sur un confortable fauteuil club Chesterfield de cuir clair, une femme, cintrée dans un manteau bleu, est assoupie. Tête penchée, cheveux blonds plaqués, coiffés en un élégant chignon, le visage fermé, elle semble perdue dans ses pensées. Un soubresaut, elle s’éveille lentement. C’est l’heure de se préparer.
On est en 1964 à Dublin dans la suite d’un hôtel classieux. Audrey Hepburn (lumineuse Isabelle Carré) est venue avec son mari Mel Ferrer spécialement pour rencontrer un homme qu’elle n’a pas vu depuis près d’une trentaine d’années : son père. Fébrile, en proie au doute, elle se demande s’il ne faudrait pas annuler.
Que va-t-elle lui dire ? Comment va-t-il se comporter ? Va-t-elle lui pardonner l’absence ? Va-t-elle enfin comprendre pourquoi ce père aimant s’est fourvoyé dans les idéologies fascistes ? Sera-t-il toujours cet homme affable et tendre que son esprit de jeune fille à à garder en mémoire, il y a de cela plusieurs décennies ? Toutes ces questions, si souvent ressassées, reviennent une dernière fois la hanter avant cet ultime rendez-vous. D’ailleurs, le père et la fille, vont-ils se rencontrer, s’expliquer ? Qui sait.
En imaginant ce qu’il se passe dans la tête de la célèbre comédienne à l’aube de cette rencontre singulière, Clémence Boulouque éclaire d’un jour nouveau la personnalité de celle qui, à l’écran donne magnifiquement vie à Eliza Doolittle dans My fair lady ou Holly Golightly dans Diamants sur canapé. Loin des pellicules cinématographiques, des pages de papier glacé des magazines, elle dévoile les failles, les fêlures de celle qui a grandi sans père, qui a dû faire face à ses prises de positions politiques inquiétantes. En adaptant en monologue intérieur son roman Instant de grâce, elle expose les doutes, les paradoxes d’Audrey Hepburn avec beaucoup d’empathie et de délicatesse.
Pour ne pas dénaturer le propos de l’auteur, Jérôme Kircher a choisi une mise en scène sobre qui trop épurée, finit par manquer de couleurs et de saveurs. Heureusement, le charme fragile et l’élégance naturelle d’Isabelle Carré opèrent. Si les émotions trop retenues ne nous parviennent que par intermittence, la blonde comédienne enchante. Elle n’essaie pas d’être un double de la star anglaise, mais une émanation fragile et pudique de sa conscience. Même allure, même classe, elle lui donne une autre dimension, celle de la femme à l’enfance tronquée, fêlée. Frêle silhouette, accrochée à son fauteuil pour ne pas sombrer, pour ne se laisser emporter dans un sentimentalisme exacerbé qui ne lui correspond pas, elle devient lumière quand dans les derniers rayons du soleil elle s’approche de la fenêtre pour mieux respirer.
Cette image « hopperienne », sublime, figée et délicate, résume en tout point l’essentiel de cette étonnante et singulière confession. Illuminée par la diaphane Isabelle Carré, ce moment, certes un peu froid, se laisse savourer avec une infinie précaution. Il ravira à n’en pas douter les amoureux du cinéma d’antan.
Le sourire d’Audrey Hepburn de Clémence Boulouque
Théâtre de l’Œuvre
55, Rue de Clichy
75009 Paris
Jusqu’au 8 janvier 2016
Du mercredi au samedi 19h et le dimanche 18h
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