Nesma : « la musique est l’âme de la chorégraphie »

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Par Amélie Coispel – bscnews.fr/ Nesma est une femme accomplie. Danseuse, chorégraphe, et productrice, elle multiplie les activités, mais toujours autour de la musique. Son spectacle de danse orientale Enta Omri, un hommage à Oum Kalsoum, se fait une place dans la programmation dense, et de danse, du festival Arabesques. L’occasion pour la jeune femme de dépasser les frontières et délocaliser cette musique orientale, pour un mélange des cultures détonant !

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Quelle formation avez-vous suivi pour devenir chorégraphe ?

C’est principalement le grand chorégraphe égyptien Mahmoud Reda qui m’a formé. C’est lorsque j’ai travaillé dans sa compagnie et plus tard durant toutes ces années de collaboration que je me suis préparée pour chorégraphier mes propres spectacles. D’autre part j’ai grandi dans une ambiance artistique où l’on nous motivait à créer des spectacles, à animer les fêtes de famille. Depuis toute petite donc, j’aime créer des spectacles. D’ailleurs je crois que la formation de chorégraphe est surtout pratique : on apprend surtout en observant puis en appliquant ses idées et en créant des spectacles. C’est une profession qui demande de la créativité et de l’expérience.

Vous avez intégré le Ballet folklorique national égyptien Reda, comment avez-vous vécu cette expérience ?

Ça a été une des expériences les plus enrichissantes de ma carrière professionnelle. Ça m’a permis de découvrir comment travaillait un grand chorégraphe et directeur comme Mahmoud Reda. Lorsque je dansais dans le Ballet Reda, j’étais très proche de Mahmoud Reda et j’ai eu la chance de voir comment il créait les chorégraphies, comment il dirigeait sa compagnie et préparait les spectacles. A cette époque, le ballet Reda était composé de plus d’une centaine de personnes, prés de 60 danseurs, 40 musiciens et l’équipe technique. C’est là que j’ai appris l’organisation d’une compagnie de danse, la production, la gestion des costumes, la direction des répétitions avec les musiciens etc.

Vous êtes à la fois danseuse et chorégraphe. Comment réussissez-vous à avoir un regard extérieur, celui de chorégraphe, sur une oeuvre dans laquelle vous figurez en tant que danseuse ?

C’est compliqué en effet. Dans la plupart de mes spectacles il y a des chorégraphies auxquelles je ne participe pas et d’autres que j’interprète. Sans aucun doute c’est un inconvénient pour le travail de chorégraphe et la direction du spectacle. Toutefois et jusqu’à maintenant, j’ai voulu profiter de mes années de danseuse en essayant de rendre les deux compatibles.

Qu’est-ce-qui nourrit votre pensée chorégraphique ?

Ça dépend beaucoup de la chorégraphie, il n’y a pas de règle. Pour certaines chorégraphies c’est simplement la musique, ce que la musique et les paroles des chansons m’inspirent. Pour les danses traditionnelles, j’essaye de représenter le caractère des gens, l’ambiance d’un lieu. D’autres chorégraphes, des spectacles qui m’ont marquée, qui, souvent, n’ont rien à voir avec mon travail, ont aussi été source d’inspiration. Lorsque j’ai décidé de centrer mon travail sur la danse arabo-andalouse par exemple, j’ai essayé de sentir la trace laissée par l’histoire d’ Al-Andalous, qui est souvent dans l’inconscient des gens ici en Espagne, et qu’on a essayé d’effacer mais qu’on retrouve partout, dans la langue, dans la musique, dans le caractère des gens, dans les danses populaires également. Puis il suffit de me laisser aller à la rêverie lorsque je visite les sites comme l’Alhambra de Grenade ou la Mosquée de Cordoue pour sentir le besoin de représenter par le mouvement les sentiments produits par la vue, l’odorat, et l’ouïe.Mais ça peut être aussi une histoire ou un personnage, comme ici avec Oum Kalsoum, pas seulement sa musique mais aussi son histoire, et la marque qu’elle a laissée dans la mémoire collective des Égyptiens. Ses films m’ont aussi beaucoup inspirée. Mais la musique est fondamentale, la musique est l’âme de la chorégraphie.

Quelle est la genèse de la chorégraphie que vous présentez à l’occasion du festival Arabesques ?

Ce spectacle « Enta Omri » est construit sur la base d’une sélection variée de chansons qui ont marqué les étapes de la vie d’Oum Kalsoum, présentées sur scène comme une suite de tableaux. Certaines chorégraphies sont plutôt traditionnelles et inspirées des films où Oum Kalsoum représente un personnage d’une région d’Egypte, d’autres chorégraphies sont inspirées des paroles des chansons, des poèmes, des sentiments, de la spiritualité. Mais aussi le personnage en soi, sa façon de marcher, sa façon d’être sur scène, ses mouvements et ses expressions, ses robes et son image, celle qu’on voit sur les photos et dans les vidéos mais aussi celle qu’on imagine quand on parle d’elle aujourd’hui.

Bien entendu la sélection de la musique a été fondamentale et également la façon dont elle sera interprétée sur scène. J’ai choisi des chansons de différentes époques de sa carrière, des musiques qui, par ailleurs, se prêtent bien à la danse mais qui ne sont pas les musiques utilisées habituellement dans les spectacles de danse. Toutes ces musiques seront interprétées sur scène par 4 musiciens égyptiens dans une formation inédite je crois. Pour vous donner une idée, lorsque je dansais au Caire, j’étais accompagnée par un orchestre de 30 musiciens. S’il était, bien entendu, impensable de s’accorder les services d’un orchestre en Europe, cet exercice a eu aussi un atout : on a travaillé avec le directeur musical, l’accordéoniste et compositeur Ahmed Abdel Fattah, sur l’essence des mélodies, de l’interprétation et de la connexion entre musique et danse. Je crois que le résultat apporte une originalité essentielle à ce spectacle, ainsi qu’un contact plus direct avec le public.

Votre passion pour la danse orientale est liée à Oum Kalsoum. Pourriez-vous nous raconter ?

Sans aucun doute ce qui m’a captivé et attiré vers la danse orientale fut la musique. Et parmi les premières cassettes de musique auquelles j’ai eu accès en Espagne et que j’écoutais, la plupart était d’Oum Kalsoum. J’écoutais sans cesse ses chansons et je me suis passionnée pour la danse, pour l’interprétation de cette musique par la corps. Bien entendu je ne comprenais pas les paroles et à cette époque-là on n’avait pas accès aux traductions, internet n’existait pas encore, mais en raison de la qualité musicale, les sentiments et la spiritualité de sa voix, les chansons d’Oum Kalsoum étaient la musique que je préférais interpréter.

Vous dirigez votre propre école, Al-Andalus Danza. Est-ce une formation professionnelle que vous dispensez ? Si oui, comment les danseurs sont-ils sélectionnés ?

En 1998 j’ai décidé de quitter le Caire et j’ai créé mon école à Madrid. Comme j’avais, depuis quelques temps déjà, l’idée de travailler sur l’héritage Arabo-Andalou, je l’ai nommée Al-Andalus Danza. Au début c’était un centre de danse spécialisé avec plusieurs professeurs et l’on offrait des classes de tous les niveaux. Avec le temps, la danse orientale s’est beaucoup développée en Espagne, et on pouvait prendre des cours dans des centres spécialisés, des centres multidisciplinaires et mêmes les centres culturels municipaux. En conséquence, il y a eu une grosse demande de professeurs de danse orientale et je trouvais que beaucoup de danseuses – qui pouvaient avoir une très bonne technique- manquaient de culture et de connaissances. C’est ce qui m’a poussé à me concentrer sur la formation professionnelle destinée aux danseuses qui veulent approfondir leurs connaissances. C’est une formation intégrale qui ne se limite pas à la technique de danse mais passe également par un apprentissage de la musique et de la culture. Les premières promotions étaient composées de danseuses espagnoles que je sélectionnais lors d’un entretien mais aujourd’hui la formation est suivie par des danseuses de toute l’Europe. La sélection est assez facile car c’est une formation qui implique un effort important de la part des élèves, et en général, seules les danseuses qui ont un niveau avancé et qui veulent se dédier professionnellement à la danse sont intéressées. Alors je fais la sélection sur la base du CV et de vidéos. Cette formation m’a offert l’une des plus grandes satisfactions de toute ma carrière : celle de voir l’évolution des danseuses que je forme. Ce sont des années de travail et d’implication que je vois récompenser par un résultat concret.

Vous êtes aussi productrice de musique, vous avez un label dédié à la musique arabe. Est-ce-un domaine que vous souhaitez approfondir ?

Lorsque j’ai décidé de créer ma compagnie de danse en Espagne, j’avais besoin de musique. J’ai enregistré en studio les mélodies sur lesquelles je dansais au Caire, puis j’ai enregistré de nouveaux morceaux pour un spectacle que j’allais présenter en Espagne, Du Nil au Guadalquivir. Je n’avais pas encore l’idée de créer un label et de vendre ces musiques mais la production m’a tout de suite captivée. Suivant les conseil de mon entourage j’ai créé un label, Nesma Music, et on a lancé les deux premiers disques sur le marché ainsi qu’un DVD. Et l’aventure a commencé. Au fil des rencontres, nous avons commencé à travailler avec des jeunes artistes et aujourd’hui on représente aussi ces artistes en dehors de l’Egypte, avec tous les obstacles que cela implique. La production musicale est une activité complémentaire indispensable à la danse. C’est aussi un champ de recherche et d’innovation. Pour mes spectacles et mes formations, j’ai besoin de musique originale. Et ce n’est pas si simple d’enregistrer un disque de danse orientale, ou de la musique arabo-andalouse pour la danse. Il faut avoir des connaissances musicales, savoir chorégraphier, connaître le marché, les goûts et les besoins des danseuses du monde entier. Et ces productions se font en Egypte, il faut aussi connaître des compositeurs, des musiciens parfois, la connaissance de la langue est indispensable. C’est une activité très créative et passionnante, et malgré les problèmes que nous rencontrons pour nous adapter aux nouvelles conditions du marché, je compte bien continuer à produire de la musique.

Enta Omri dans le cadre du Festival Arabesques
Samedi 16 mai 2015 à 20h30
Domaine de l’Olivaie – Montpellier
http://www.festivalarabesques.fr

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