Anny Romand

Anny Romand :  » Très vite, j’ai compris que les livres étaient des trésors qui m’aideraient à comprendre ce que je faisais là « 

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Par Marie Der Gazerian – bscnews.fr/ Anny Romand est actrice, réalisatrice et productrice. Elle a organisé entre autres « Une saison de Nobel » au Salon du livre Ancien de Paris. Si vous suivez le BSC NEWS depuis quelques temps, vous avez déjà croisé sa plume lors de sa correspondance avec Sophie Sendra. Anny Romand a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la semaine de la Francophonie.

propos recueillis par

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Comment définiriez-vous votre rapport à la langue française ?

Jusqu’à l’âge de 10 ans, je ne suis allée en classe que d’une façon fragmentée et très parcellaire puisque j’arrive à peine à 4 mois en tout et pour tout de scolarité. Dans la solitude j’ai appris à lire et à écrire; à cause de cette solitude, peu de réponses étaient données aux questions qu’une enfant se pose. Il a bien fallu que je cherche ailleurs que dans la parole les réponses et, très vite, j’ai compris que les livres étaient des trésors qui m’aideraient à comprendre ce que je faisais là et pourquoi j’étais si différente des autres enfants de mon âge. Donc j’ai dû vouloir, coûte que coûte, percer le mur de la lecture, de l’alphabet et de l’écriture. Je crois que mes amis étaient les mots, les phrases, les idées, et je jouais avec eux, je leur parlais, et ils me parlaient – c’était un dialogue qui a continué sans discontinuer- et je suis restée très fidèle à ces amitiés de l’enfance. Ces amis sont le socle sur lequel reposent mon être tout entier et ma personnalité. Ils viennent chaque soir me parler comme je leur parle. Chaque soir. Et ces mots sont devenus, en y réfléchissant, des dessins, des sortes d’idéogrammes car je les lis, ou plutôt je ne les lis plus, je promène mon regard sur eux et le sens de la phrase est là, tout de suite – aussi rapide que la pensée, que la réflexion intérieure. Un mot suggère plusieurs idées – et celui qui vient ajoute d’autres idées et ainsi de suite. Un maillage, un réseau, un filet de pensées est créé avec une seule phrase de 4 mots. Une scène se construit, l’image est en mouvement. Ai-je un rapport cinématographique à la langue française ? Moi qui suis originaire de la Ciotat !

Avez-vous déjà été surpris par l’utilisation d’un mot étranger français à l’étranger ?

Les deux mots « déjà vu » (Déja vu ou already seen), locution employée en anglais avec le même sens qu’en français me surprend et me fascine. Une certaine poésie se dégage de cette utilisation anglaise. Quand le locuteur anglais l’emploie dans une phrase, je sens que je fais un réajustement car je bute légèrement, comme si je ne puisais pas dans le même panier le sens des mots. Et le sens de « déjà vu » m’apparaît plus clairement car un travail de décryptage s’effectue naturellement car l’anglais n’est pas ma langue maternelle. Le sens de quelque chose d’un peu surnaturel, enfoui dans la mémoire et qui, tout à coup, ressurgit à l’improviste, comme un fantôme, comme un paysage empreint de nostalgie et qui a pu se fixer dans la mémoire car chargé d’émotions. « Déjà vu », je l’aime bien.

Vous avez entretenu à deux reprises une « relation épistolaire » pour le magazine. Il n’est plus commun de dialoguer sous cette forme avec un journaliste. Quels souvenirs en gardez vous ? Plus généralement, en quoi ce mode d’échange apporte-t-il d’avantage qu’une interview classique?

Avec les questions de Sophie Sendra, j’ai pesé mes mots à la balance de la sensation vraie, de la pensée fidèle. En prenant connaissance de mes réponses, elle a pu me tendre un miroir réfléchissant mes paroles. Mais ce miroir était le sien et ainsi, de question en réponse, nous avons tissé une étoffe commune. Ce qui arrive rarement lors d’une interview (mot d’origine étrangère). La proposition a donné une autre façon de réfléchir le monde, de réfléchir sur le monde, d’entrer dans l’intime, d’agrandir son champ de vision, de partager pour mieux comprendre l’autre, soi aussi, pour devenir, devenir… Tout ça avec quelqu’un que je n’ai jamais vu.

Pour finir, que pensez-vous de cette manifestation annuelle pour la francophonie? Que vous inspire-t-elle ?

Bonne manifestation, nécessaire et fructueuse. Tout ce qui permet au langage humain de se déployer est une source de mieux être entre humains et une façon de repousser la barbarie.

Anny Romand : une saison de Nobel

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