La mélancolie des dragons: aussi désopilant que poétique!
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Quelque part dans une campagne enneigée. Une voiture attelée à une « caravane », à l’arrêt: quatre hommes s’y reposent, se restaurent de chips et de bière et écoutent des morceaux de musique à l’univers éclectique désopilant. Surgit derrière les arbres dénudés une femme âgée avec un tee-shirt Metallica, Isabelle, qui va constater la panne, les inviter à patienter et devenir le spectateur admiratif dont ils ont besoin.
Sur le plateau, six caricatures de fans de Led Zeppelin ( deux de plus, en effet, sortent un peu plus tard de la remorque) font la démonstration à une vieille dame – avec une bonhomie de Bisounours – des enjeux, des techniques et des effets du » parc d’attractions » nomade qu’ils ont inventé. Caricatures de l’artiste raté ( ou pas?), attendrissants de ridicule, ils provoquent récurremment le rire des spectateurs tant ils sont à la fois convaincus jusqu’à la moelle du génie de leur installation aux attractions dérisoires et certains d’être porteurs d’un message métaphysique fort. Machine à bulles, machine à fumée, machine à neige, bibliothèque exhaustive sur la mélancolie et les dragons, ces êtres déroutent par leur capacité à s’étonner de tout, comme des enfants. Des poètes à l’enthousiasme aussi benêt que communicatif. Pourquoi font-ils rire? Car leur conviction semble inaltérable. » Still Loving You » de Scorpions, jouée dans un duo guitare/ flûte à bec, en est un exemple probant. Rodolphe Auté, affublé de sa longue perruque et de ses gestes maniérés, est un clown d’un genre nouveau ; Émilien Tessier, de la même façon, s’improvisant avec ravissement sorcier-sourcier en faisant jaillir un jet d’eau de sa bassine, rebaptisé » Fontaine », ou juché sur une AX bâchée qui représente « La Montagne », désarme par la sincérité de son jeu et le rayonnement de son personnage illuminé.
Philippe Quesne a le génie des contrastes : le trivial et le poétique s’opposent autant qu’ils s’épousent pour offrir d’étonnants effets. Ces marginaux ne cessent de réclamer l’attention d’« Isabelle » et son assentiment alors qu’ils semblent avoir choisi une existence rebelle; le fond d’écran de leur ordinateur est un cliché des vacances aseptisées; de même, les polices et les couleurs choisis pour l’annonce » Ici prochainement parc d’attractions » sont terriblement kitsch alors qu’ils semblent avoir des goûts délicats d’artiste et refuser tout intérêt mercantile…En outre, le metteur en scène met en place un cadre très réaliste dont les comédiens ne cessent de détruire l’illusion ( en cherchant une prise sous le tapis de fausse neige par exemple).
La raison du succès de cette pièce singulière? Il semble qu’elle soit une excellente démonstration d’une vérité simple mais oubliée: la magie n’est autre qu’un regard porté sur le monde. Les situations improbables et absurdes rayonnent de poésie qu’il faut prendre la peine de déceler. Isabelle Angotti, du haut de son escabeau, entourée de ces six êtres authentiques dans leur démarche, touche, l’espace d’un instant, en symbiose avec le spectateur, à cette magie fugace, cette « mélancolie des dragons » qui n’est peut-être que la « mise à distance » salvatrice « de la conscience face au désenchantement du monde »(Starobinski – extrait cité dans la feuille de salle – HtH) ).
La Mélancolie des dragons? Une pièce déroutante pour laquelle il faut avoir la patience de s’imprégner de l’atmosphère…mais après, on rit et on s’émeut aussi!
La Mélancolie des Dragons
Conception, scénographie et mise en scène : Philippe Quesne
Avec : Isabelle Angotti, Zinn Atmane, Rodolphe Auté et Hermès, Cyril Gomez-Mathieu, Émilien Tessier, Tristan Varlot, Gaëtan Vourc’h
Extraits musicaux : AC/DC, André Prévin, Colleen, John Cage, C.Jérôme, Iron Maiden, Howe Gelb, Joseph Haydn, Wagner, Guillaume de Machaut, Scorpions, Armando Trovaioli
Dates des représentations:
– Du mar 27/01/15 au ven. 30/01/15 à Montpellier – humain Trop humain - Tel. +33 (0)4 67 99 25 00
– Du mar. 03/02/15 au sam. 07/02/15 à Tours – Théâtre Olympia
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