Gertrud: une mélodie des sentiments qui manque de sens

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Gertrud est une grande cantatrice. Entourée de ses trois prétendants, elles est en quête d’amour absolu mais ne parvient jamais à trouver le bonheur: partagée entre un ancien amant à la dérive, un jeune musicien en devenir et un avocat ambitieux qui la demande en mariage, elle ne cesse d’arpenter un chemin où les ruptures s’enchaînent. Esclave de ses rêves et de ses pulsions, cette romantique n’a pour seul espoir que de renoncer aux hommes afin de pouvoir faire face à son éternel idéalisme.

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Cette tragédie suédoise a été écrite en 1906 par Hjalmar Söderberg. Peu connue du public français, elle décrit la difficulté des relations sentimentales à travers le tourment d’une femme éperdument éprise d’amour. La mise en scène de Jean-Pierre Baro est plutôt complexe car elle s’attache aux attitudes de ses protagonistes sans vraiment faire ressortir le propos ou la pensée de l’auteur. Dans cette adaptation contemporaine, Gertrud nous fait d’avantage songer à une désaxée en mal de vivre plutôt qu’à une héroïne lyrique en quête de passion. L’interprétation de Cecile Coustillac accentue par ailleurs cet aspect simplifié et décousu: avec sa diction trop appuyée et son physique juvénile, cette comédienne ne parvient pas à s’immiscer dans le rôle d’une quadragénaire posée en suspens sur le fil fragile de son existence. Certes, elle incarne une figure libre et alerte mais elle insiste trop sur son désir d’indépendance, ce qui casse l’aspect idéaliste de son personnage. Se dérobant sans cesse, ne voulant ni se marier, ni appartenir à quiconque, Gertrud finit par ressembler à une adolescente égarée sans réelles aspirations…
Il en va de même pour le comportement de ses chevaliers servants: aussi égoïstes les uns que les autres, ils se complaisent dans leur carrière et ne semblent concevoir l’amour qu’en complément. Le premier des trois est Gustav, un avocat intègre et mesuré qui demande consciencieusement la main de Gertrud. Son besoin matrimonial n’est cependant qu’un simple faire-valoir qui, malgré sa sincérité, favorisera son éventuelle carrière politique. Bien que ce rôle exige une certaine retenue, on sent que le comédien Tonin Palazzotto n’est pas à l’aise avec sa prose: il ne possède hélas ni l’audace d’un futur politicien, ni les nuances suffisantes pour tenter de charmer Gertrud. Dans un tout autre registre, le fougueux Elios Noël prête son corps semi-dénudé au jeune Erland, l’amant passionnel de Gertrud: volage et misogyne, cet être est en état de volupté permanente mais l’acteur lui insuffle une telle ardeur qu’il finit par transformer ce musicien en une bête en rut aussi puérile que ridicule. Fort heureusement, le troisième courtisan est interprété avec beaucoup plus d’aisance et d’authenticité: c’est Jacques Allaire qui compose la figure de Gabriel, le poète vieillissant. A la fois burlesque, cocasse et sans aucune inhibition, il confère à cet aède une image attendrissante de vieux galant soupirant après son passé et parvient enfin à émouvoir le public.
La partition théâtrale de Jean Pierre Baro manque de toute évidence de profondeur: bien que les corps de ses protagonistes s’étreignent sans pudeur, leurs dialogues demeurent froids, leurs attitudes rigides et leurs conversations vaines. Il faut cependant saluer bien bas la scénographie de cette étrange création qui sauve à elle seule toute la pièce. Dans un superbe décor en noir et blanc, les plateaux ne cessent de coulisser et la scène de se transformer: tour à tour, de la neige poudreuse apparait, des textes sont projetés sur les parois et des murs miroirs se dressent judicieusement face aux spectateurs pour insuffler à ce spectacle la dimension poétique et la fluidité qui lui manquent. Personne ne sort donc indemne de cette tragédie en trois actes : rongés par leurs ambitions et leur fierté, le politicien se retrouve menotté à sa carrière, le musicien continue seul son chemin vers gloire, le poète se replonge dans les abysses de son art …quant à Gertrud, après avoir été ballotée entre ses amants, elle échoue solitaire à mille lieux de ses aspirations amoureuses. Le spectateur, de son côté, n’a pas tout saisi de ce drame scandinave mais il quitte les gradins en ayant au moins capté la dramaturgie de Söderberg grace à la magie des décors et de la musique.

Gertrud
de Hjalmar Söderberg
Mise en scène Jean-Pierre Baro
Avec: Jacques Allaire, Cécile Coustillac, Elios Noël, Michèle Simonnet et Tonin Palazzotto

Tournée Gertrud 2014- 2015:

Du 25 novembre au 13 décembre 2014 à Le Monfort Théâtre
7 et 8 janvier 2015 : Espaces Pluriels, Scène conventionnée danse-théâtre de Pau
13 janvier 2015 : Théâtre d’Arles, Scène conventionnée pour des écritures d’aujourd’hui
16 janvier 2015 : Théâtre Paul Eluard, Choisy-le-Roi
20 et 21 janvier 2015 : La Passerelle, Scène nationale de Saint Brieuc
27 au 30 janvier 2015 : Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, Centre Dramatique National

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