Occident: une courte chronique de la haine ordinaire

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Occident est une mise en scène de la haine ordinaire: haine au sein d’un couple où l’amour n’a plus sa place, haine de l’étranger que l’on dénigre sans le comprendre, mais aussi haine de soi, de ce que l’on est, de ce que l’on devient au fil des années et des heurts qui s’accumulent.

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Dans un face à face intimiste, ELLE et LUI se retrouvent chaque soir autour d’une petite table. Au sein de ce couple à la dérive, le rituel est toujours le même: il rentre saoul, insulte sa compagne, elle lui tient tête, il s’effondre, elle déchante et ils vont se coucher…Derrière ce scénario usant qui se répète inlassablement transparait le mal-être d’un homme qui entraine tous ceux qu’il côtoie dans sa souffrance: comme IL ne peut ni affronter ses faiblesses, ni faire face à celles du monde occidental qui l’entoure, alors il boit, picole et s’enivre jusqu’à plus soif. Non seulement il a le vin triste mais en plus, il l’a mauvais, voilà pourquoi il salue inlassablement sa maitresse à coup de « salope » et lui martèle le cerveau de « pute intello ». Fort heureusement ELLE lui tient tête et n’hésite pas à son tour à le traiter de facho impuissant. Consciente que l’ivresse de son homme cache autre chose que des insultes gratuites, elle l’emmène phrase après phrase à écumer cette haine qu’il a engrangée en faisant la tournée des bars: pris en tenailles entre les Yougoslaves du Palace et un ami maghrébin qu’il a laissé se faire tabasser, IL ne sait plus où se positionner et finit toujours pitoyablement par cuver son vin au café de Flandre en compagnie de ces messieurs du Front National. Comme un enfant conscient de sa terrible faute, il attend la nuit pour se confesser auprès de son amante: il se sait faible, alcoolique, impotent et raciste mais il veut qu’elle le lui dise, qu’elle le lui reproche encore et encore afin de pouvoir expier ses pêchers et continuer à résister à son existence pathétique.
Dans cette courte pièce de Rémi de Vos, mieux vaut ne pas s’attarder sur le langage ordurier des deux protagonistes. Bien qu’il dérange au premier abord, notre oreille s’accoutume à ce ressac d’insultes et finit par se concentrer sur les thématiques sous-jacentes des dialogues. Au delà d’un simple conflit conjugal transparait alors une toute autre dimension: celle d’un conflit racial que la France et l’Occident ne parviennent plus à gérer. Arabes, Slaves ou Français, toutes ces ethnies se heurtent quotidiennement au sein d’un même pays sans pouvoir se comprendre. A l’exemple de ce couple qui ne se parle plus, le manque de communication entre les peuples a abouti hélas à des extrémismes politiques ou religieux. Telle est la réalité sociale que triture et soulève ce puissant face à face théâtral.
Amoureux des pièces tortueuses et des écritures heurtées, c’est avec hargne et provocation que le comédien Jacques Descorde s’empare de ce nouveau rôle conflictuel. A peine s’est-il extirpé de sa dernière création au Lucernaire (voir notre article sur Combat) qu’il s’attaque à un protagoniste encore plus cabossé que le précédent: la langue venimeuse et l’oeil ivre, il incarne un lâche qui ne sait que pleurnicher sur son pauvre sort. La parole vile et purulente, il habite avec force son malheureux personnage, le tourmente et l’écorche volontairement. Pour tenir tête à sa colère qui n’est pas que scénique, s’élève la non moins téméraire Carole Thibaut. Les pieds nus et le corps enveloppé d’un long fourreau rouge, cette comédienne caractérielle a la réplique aussi sèche que sa gestuelle est sensuelle. Avec malice et délectation, elle provoque son partenaire, le fouette verbalement et l’emmène chaque soir jusqu’à la confession.
Par delà ce duel théâtral, on ressent une complicité évidente entre ces deux acteurs qui se connaissent depuis plus de vingt ans. Aussi hérissés l’un que l’autre, Jacques Descorde et Carole Thibaut parviennent à faire monter en tension cette pièce crue et acerbe où l’agressivité n’est qu’un simple moyen de provoquer le public pour l’inciter à réfléchir sur la haine raciale qui découle du manque de communication. Installés en cercle à un mètre de leur couple, les spectateurs passent tour à tour du statut de voyeur à celui de juges. Que l’on apprécie ou pas la pièce, une chose est sûre: on ne ressort pas indemne de ce clash social et émotionnel.
Occident? Un morceau de théâtre vivant, heurté et percutant.

Occident
Texte: Rémi De Vos
Mise en scène et interprétation: Carole Thibaut & Jacques Descorde

Salle Confluences : du 18 au 20 novembre 2014
190 boulevard de Charonne – Paris 20e

Tournée 2015:
28 janvier: Peronne en Mélantois
31 janvier: Chereng
3 février: Hantay
6 février : Mesquin
7 février: Englos
16, 20, 21, 22 avril: Boulogne sur mer

Du 10 au 14 juin 2015 à la Maison des Métallos , 94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris – Téléphone :01 48 05 88 27

La pièce OCCIDENT revient les 28 et 29 novembre à la Ferme du Buisson de Marne-la-Vallée.
scène nationale de Marne-la-Vallée
Allée de la Ferme – 77186 Noisiel
Réservations: 0164627777 – 0164627799

Compagnie Sambre: 0642784840 – contact@compagniesambre.org

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