Chère Elena: une pièce « made in URSS » au casting percutant

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Elena est professeur de mathématiques au sein d’une université moscovite. Droite et réservée, elle ne s’est jamais mariée et a consacré sa vie à former ses lycéens en tentant de leur inculquer le respect des idéaux soviétiques. La crise économique est cependant de plus en plus proéminente et elle entraîne avec elle toutes les valeurs utopiques de l’ex-URSS. Dans cette société au bord de l’implosion, la jeunesse refuse de croire aveuglement à de poussiéreux préceptes bolchéviques qui n’ont pas su faire leurs preuves depuis soixante ans; même les anciennes générations semblent à présent désemparées face aux propos mensongers de leur si prestigieuse intelligentsia. C’est dans cette atmosphère lourde d’agitation et de questionnements que prend place le texte percutant de Ludmilla Razoumovskaïa.

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La pièce s’ouvre sur l’appartement d’Elena. Tandis qu’elle savoure paisiblement son petit quotidien insipide, quatre de ses élèves de Terminale sonnent à sa porte pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Interloquée par cette soudaine intrusion, la vieille enseignante est tout d’abord flattée et elle laisse entrer timidement ses étudiants. Il s’avère cependant que ces jeunes agneaux ont l’appétit plus vorace qu’une famélique meute de loups: aussi impertinents qu’arrivistes, ils sont en réalité venu voir leur professeur pour la convaincre de modifier leurs notes d’examens de fin d’année! Sur fond de chantage et de manipulation, la soirée va peu à peu se transformer en un frénétique conflit générationnel qui va non seulement remettre en question les idéaux du régime communiste mais également briser toutes les illusions des cinq protagonistes.
La mise en scène de Didier Long est vive et poignante. En misant sur Myriam Boyer pour interpréter le rôle d’Elena, il a fait le bon choix car l’actrice parvient à moduler avec justesse tous les changements d’émotions de son personnage. Tour à tour, douce, réticente puis désemparée, elle nous offre le triste portrait d’une vieille enseignante soviétique prenant conscience de la méchanceté humaine et des affligeantes réalités de son époque. Dans un mélange d’horreur et de compassion, elle passe de la lucidité au doute mais tient dignement tête à ses quatre étudiants qui vont jusqu’à la ligoter pour la faire chanter. Ces jeunes blancs-becs sont incarnés par un quatuor d’excellents acteurs très complémentaires. Sagement vêtus de leurs costumes de Komsomols, ils parviennent à faire monter crescendo l’intensité et le suspense de la pièce. Chacun à leur façon, ils poussent leurs prestations vers une violence parfois excessive mais qui s’avère être nécessaire pour éveiller la conscience des spectateurs. À la tête de ces houligans un peu bourgeois se distingue l’arrogant Volodia (François Deblock): avec ses cheveux hirsutes et sa verve cynique, ce gamin est un manipulateur hors-pair qui n’aspire qu’à son ascension personnelle. Sous ses bras tentaculaires et orduriers se déploient Pacha (Gauthier Battoue) un BCBG aussi couard que naïf, Vitia (Julien Crampon), un jeune alcoolique attendrissant complètement à la dérive, et puis il y a Lilia (Jeanne Ruff), une séduisante étudiante prête à marchander sa virginité pour atteindre au plus vite les hautes sphères fortunées des apparatchiks.
Avec ivresse et brio, ils personnifient à eux seuls les vices de l’humanité que refuse d’accepter la pauvre Elena. Face à ce concentré d’hypocrisie, de lâcheté et de cruauté, elle finit cependant par comprendre que ces enfants ne sont que le fruit monstrueux d’un système qui pourrit de l’intérieur depuis des années. Elle même, après tout, n’est pas heureuse. Elle se ment pour ne pas faillir car si Elena ouvrait les yeux elle comprendrait qu’elle ne vit pas: elle ne fait que survivre à travers ses illusions…
Dans cette pièce décapante, l’écriture subversive de Lyudmila Razoumovskaïa fait figure de manifeste. Créée en 1981, quelques années avant la pérestroïka, elle dénonce la tutelle du parti soviétique et les idéaux mensongers qu’il véhicule depuis des décennies. A l’exemple des dissidents de son époque, Lyudmila Razoumovskaïa revendique la liberté civique mais elle le fait avec beaucoup de lucidité: la machiavélique jeunesse qu’elle dessine au couteau n’est pas encore prête à affronter son indépendance. Violente et anarchique, elle a besoin malgré tout de morale et d’autorité car elle ne possède pas la maturité suffisante pour être maitresse de son libre arbitre. Par delà la chute de l’URSS, cette réflexion a le mérite de demeurer toujours d’actualité…

Chère Elena ? Un scénario écrit au vitriol interprété par un quatuor de jeunes talents sans scrupule à l’égard de la bouleversante Myriam Boyer.

Chère Elena
de Ludmilla Razoumovskaïa
Traduction: Joëlle et Marc Blondel
Mise en scène de Didier Long
Avec Myriam Boyer, Gauthier Battoue, Julien Crampon, François Deblock, Jeanne Ruff

Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse – Paris 14e

Jusqu’au 12 avril 2015
Du mardi au samedi à 21h
Dimanche à 15h
Réservations: 0145445021

Cette pièce est conseillée à partir de 15 ans.

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