Le pouvoir des folies théâtrales ?  » C’était du théâtre comme c’était à espérer et à prévoir »

par
Partagez l'article !

Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Si l’on vous dit que la pièce s’achève sur un chanteur d’opéra, encadré par deux superbes perroquets vivants, fessant une jeune femme nue jusqu’à ce qu’elle finisse par répondre à l’énigme  » 1982? », ce n’est pas simplement pour vous éviter de rester durant les 4h20 de cette pièce -pour le moins- déstabilisante, mais d’abord parce que la fin résume l’ensemble de cette œuvre de jeunesse : tout y est délirant et conceptuel.  » Le pouvoir des folies théâtrales » se veut à la fois un hommage à la grandeur passée d’un théâtre bourgeois où le spectateur se complaisait dans l’illusion, les dorures, les froufrous, les belles histoires d’amour et en même temps l’adieu à ce « cadavre » qui a fait son temps. Aussi, sur le plateau, la rigueur et le lyrisme d’antan se heurtent à la dissonance contemporaine, l’absurde joue avec les topoi du maniérisme et de l’emphase. La cruauté des lumières qui n’avantagent plus, les crapauds qu’on écrase d’un coup de talon, les crampes et les tours de rein provoqués par les portés romantiques assassinent enfin les illusions fantasmées.

Partagez l'article !

Sur scène, une quinzaine de performeurs chantent, dansent, jouent et s’épuisent littéralement pour faire la démonstration d’une théorie philosophique et esthétique pas toujours très lisible et souvent agaçante dans sa redondance et son insistance. Le spectateur est récuremment contraint de se torturer la cervelle pour établir des ponts de sens entre les scènes délirantes qui montrent tantôt une femme enragée qui a été jetée hors de scène et qui tente désespérement de remonter sur les planches, un ballet musical avec assiettes ou encore des acteurs-chiens jappant à tout va . Si réussir à trouver une logique dans le chaos sémantique qui règne sur le plateau peut satisfaire les théâtreux, les spectateurs aguerris avides de nouvelles émotions, les béni-oui-oui de l’art moderne ou encore les adolescents aux sens échauffés par la nudité régnante, l’oeil lambda, qui représente à peu près la moitié de la salle, s’éclipse avec plus ou moins de discrétion agacée au fur et à mesure de cette performance. Parce qu’il semble que tout pouvait être dit en bien moins de minutes précieuses, parce que l’excès en tout dénature la beauté et que faire de l’humain un terrain d’expérimentation a ses limites, nous semble-t-il. Le théâtre de jeunesse de Jan Fabre est fougueux, entier et ne manque pas de génie… mais il s’avère aussi trop impétueux dans ses emportements. Comme Attila, il invite à faire table rase d’un passé nostalgique pour instaurer un régime où sévit la folie, le paradoxe et la désillusion. Pas étonnant que certains soient réticents…

Dans cette oeuvre théâtrale, les performeurs sont assurément à applaudir pour leur résistance physique mais également pour la justesse de leur jeu et leur époustouflante énergie. Et l’on reconnaîtra que certains moments de mise en scène sont fort heureux ; soit parce qu’ils sont drôles , soit parce qu’ils créent une toile vivante attrayante ( quel superbe tango masculin aux têtes couronnées! ) ou encore parce qu’ils déclenchent des pistes de réflexion sur le théâtre pertinentes. Cependant, outre notre peu d’appétence pour le type de théâtre revendiqué, on stipulera que le choix d’une mécanique répétitive provoque forcément rapidement un sentiment d’ennui, la volonté d’exprimer la souffrance de façon empirique par les comédiens peut mettre mal à l’aise le spectateur et que, même si la libre circulation durant la pièce est autorisée, au bout de 4h20 de « folies théâtrales », on est soulagé – vraiment!- lorsqu’enfin l’on peut prendre congé. A vous de juger!

Dates des représentations:

– Les 15 et 16 octobre 2014 au Domaine d’Ô co-accueil avec le Théâtre Humain Trop Humain ( CDN Montpellier)
– Les 6,7,8, 10,11,12 au T2G Théâtre de Gennevilliers (41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers )

Durée :
4 h 20 avec libre circulation
A partir de : 16 ans

Le pouvoir des folies théâtrales

Conception, mise en scène, scénographie, lumières : Jan Fabre `
Musique : Wim Mertens (published by Usura)
Costumes : Pol Engels, Jan Fabre
Assistance à la mise-en-scène : Miet Martens, Renée Copraij
Hair-styling : Savagan (Brussel, Oost-Duinkerke)
Performeurs : Maria Dafneros, Piet Defrancq, Melissa Guerin, Nelle Hens, Sven Jakir, Carlijn Koppelmans (Fontys Dance Academy, Tilburg, NL), Georgios Kotsifakis, Dennis Makris, Lisa May, Giulia Perelli, Gilles Polet, Pietro Quadrino, Merel Severs, Nicolas Simeha, Kasper Vandenberghe
Réalisation costumes : Katarzyna Mielczarek
Technique : Thomas Vermaercke, Geert Vanderauwera
Chargé de production : Helmut Van Den Meersschaut
Coaching : Hans Peter Janssens (chant), Tango Argentino (Marisa Van Andel & Oliver Koch) (tango)
Stagiaires : Giulio Boato (dramaturgie) (Universiteit Bologna), Yorrith Debakker (performer) (Artesis Hogeschool, Antwerpen), Zafiria Dimitropoulou (performer) (Karolos Koun Art Theatre School, Athene)
Production re-création 2012 : Troubleyn/Jan Fabre (Antwerpen)
en co-production avec DeSingel (Antwerpen, Be), Romaeuropa Festival (Rome)
Troubleyn/Jan Fabre a le soutien du Gouvernement Flamand, la Ville et la Province d’Anvers

A voir aussi ( ou pas…):

Le moral des ménages : chroniques d’une haine ordinaire

L’annonce faite à Marie : « Maintenant que je m’en vais, faîtes comme si j’étais là. »

Venez vous égarer dans la folie moite du Chaco

Un homme qui dort : la mise en scène narcotique de Bruno Geslin

Citizen Jobs? De la pomme de Steve Jobs à celle de Blanche Neige…

Hors-piste : une comédie chorale poignante

Les Cinq jours en mars de la Compagnie des Lucioles

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à