Michel Quint : « L’homme interdit »

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Par Félix Brun – bscnews.fr/ Alexandre Sénéchal, est un saltimbanque, un forain, un inconditionnel du transformiste italien Léopold Frigoli. Sa modeste troupe monte des spectacles parfois dangereux ; les thèmes sont des faits divers délicats et les succès mitigés. Après un grave accident d’un de ses membres pendant une répétition, la compagnie se sépare et Alexandre retrouve le Nord et Julius le curé qui l’a vu naître et grandir, qui l’a protégé de la maltraitance de ses parents adoptifs.

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A son propos Alexandre dit: « J’ai la quarantaine sonnée, lui la soixantaine largement carillonnée […]. Il m’a appris le foot-ball, et moi l’ingratitude. » Les retrouvailles, plus de vingt ans après, sont tendues, fraternelles, voire patriarcales : « On en reste là, pour l’instant, à siroter et guetter l’ébullition de la graisse, chacun retranché dans les vielles années, les époques où les illusions suffisaient encore à donner envie de connaître la suite. Aujourd’hui nous sommes les visiteurs sans fleurs ni couronnes sur la tombe d’un autrefois vieilli. » Julius fait un marché avec Alexandre : il lui révèlera l’identité de sa mère, s’il consent à créer un spectacle pour redonner vie à sa paroisse déclinante. Ainsi, avec Léonore, la pétillante et séduisante Marion, Marie-Christine et Francis, ils vont imaginer et jouer une crèche animée très particulière : « une crèche vivante où la vierge exhibe ses nichons en sortant d’une 2CV », et où l’enfant Jésus n’est pas représenté.

Dans ce retour, Alexandre est meurtri par un passé difficile, en recherche de sa propre identité. « Je suis revenu, babines retroussées, aux faux paradis d’enfance et je mors comme un chien apeuré. » Il est blessé : « me vient à l’esprit que le nombril de ma vie est ici, que s’y croisent les traces des absents qui m’ont créé. » ; « Alexandre Sénéchal, magnifique paumé, écorché, gueule cassée du sentiment. ». La quête d’identité est délicate, difficile pour un artiste aux multiples personnalités et aux multiples visages car Alexandre est à lui seul toute une galerie de personnages: « Peut-être que sans mes costumes, mes accessoires, je ne suis plus vraiment personne. Un homme sans identité parce que je ne peux plus mentir. » Parviendra-t-il à assumer sa propre nature ?

On côtoie aussi avec plaisir dans ce roman des êtres singuliers comme Catherine qui parle avec lucidité et réalisme de son existence ouvrière : « Moi je sais maintenant que ma vie a été une illusion perdue […] j’étais battue d’avance.[…] Quoi de bien qui reste de 68 vous me demandez ?[…] Au moins on a été plus libres, ou on l’a cru. Mais le bonheur au bout du chemin, vous y croyez encore, vous ? »

Avec des mots simples, drôles, forts, Michel Quint nous entraine dans un roman tragi-comique plein de rebondissements et d’anecdotes truculentes. Les métaphores et les parallèles sont savoureuses, les dialogues éblouissant de sincérité, l’humour sensible et cinglant. Il nous délivre dans la bouche d’un de ses personnages une vision avertie de notre société : « En 68, on disait qu’il est interdit d’interdire. Il faudrait désormais interdire d’autoriser. Parce que le mouvement collectif de 68, celui de l’épicurisme sans entraves, a accouché d’un individualisme, d’un repli identitaire faussement libertaire où seul le principe du plaisir compte, où il suffit de désirer pour avoir… »

J’existe à peine
Auteur : Michel Quint
Editions : Héloïse d’Ormesson

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Sans victime ni coupable… et pourtant condamnée!

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