Sans victime ni coupable… et pourtant condamnée!

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Par Félix Brun –bscnews.fr/ En 2012, peut-on condamner et sacrifier sur l’autel du puritanisme et de l’éthique d’un pays, la liberté sexuelle d’une femme en proie à de gros appétits charnels ? Dans un Texas englué dans ses tabous et modèles de bonne conduite, son racisme et ses clans, Déborah Aunus est sanctionnée de cinq années de prison ferme pour avoir entretenu des rapports sexuels avec quatre de ses élèves, au demeurant majeurs et consentants.

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Ce procès, c’est celui de la liberté face à l’implacable loi, face au machisme d’une société nord- américaine ultra puritaine ; Louis le juge décide et prononce ce verdict car « Il faut être bon, donner l’image d’un pays docte et droit. Eldorado éthique de l’Amérique. Bastion moral d’un continent déclinant. » Avec la précision de l’orfèvre, Oriane Jeancourt nous fait vivre ce procès avec des mots crus, des descriptions choquantes et dérangeantes . Une audience animée par une galerie de personnages qui, volontairement ou fortuitement, s’acharnent sur notre professeur de mathématiques : Lizt, la procureure, en recherche d’une affaire aux retombées médiatiques et historiques qui la propulsera vers de hautes fonction ou la politique : « elle a cette manière pointue, absolue, de prononcer ses phrases, qui jure avec la blondeur de sa frange. » ; Jimmy, l’avocat de Déborah, qui partage sa vie ou quelques lambeaux de son existence avec la procureure : « Il ne s’intéressait pas à ce qu’elle avait commis, mais à cette « vieille passion du châtiment incrustée dans cet Etat depuis les puritains. » ; les élèves « victimes » et complices de ces ébats : « Ils ne se méfiaient pas, prenaient le désir comme il venait : constant, insatiable. Ils ignoraient qu’il n’y a pas d’infini dans la joie. Que le plaisir peut disparaître d’être poursuivi. » ; les jurés du tribunal, issus du microcosme local, dont le premier d’entre eux est un taiseux, mais « le charisme du timide est une force d’empereur. Son orgueil, entretenu par des années de retenues, des mois et des mois à se forger l’idée de sa supériorité, est prêt à mener les autres là où il le souhaite. » et enfin Mary, la mère de Déborah, qui règle des comptes avec sa maladie, son veuvage, cette société moderne qu’elle fustige et sa propre fille dont elle juge et réprouve les actes déplacés et dépravés: « Les moutons lorsqu’on les affame, s’entredévorent. »
Dans ce palais de justice à l’atmosphère suffocante et tendue, Déborah se résigne en s’enfermant dans un mutisme total, refusant ce non- procès, puisqu’il n’y a ni victimes ni crime.
Oriane Jeancourt, avec une écriture ciselée, signe un récit poignant, prenant et déroutant parfois. Portrait sensible de cette femme libérée qui,jusqu’au bout, reste libre de refuser de se défendre : « IL n’y a pas de risque sans possibilité de ruine. »

L’audience
Auteur : Oriane Jeancourt Galiganani
Edition : Albin Michel

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