Lacenaire: un parfait mariage de crime et d’écriture

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ La plupart des gens connaissent Lacenaire à travers le dandy malfaisant interprété par Marcel Herrand dans Les Enfants du Paradis : la moustache fine et le haut de forme lugubre, il y apparait sous les traits d’un misanthrope vil et haineux.

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Dans la pièce mise en scène par Franck Desmedt au sein du mythique Théâtre de la Huchette, Lacenaire a plutôt l’allure d’un gentleman cambrioleur tombé dans le crime par inadvertance. Bel homme, audacieux, ambitieux, il tente de mener de front une triple carrière: voleur, assassin et, chose plus rare, poète! Et oui, poète! Ce n’est parce que ses mains ont baigné dans le sang qu’elles ne sont pas aptes à écrire des rimes! Pierre François Lacenaire n’est pas un égorgeur quelconque, c’est un artiste meurtrier. Son théâtre? C’est Paris. Ses planches? Les bords de Seine. Quant à son œuvre, rien d’autre que sa propre vie qu’il conçoit comme une tragi-comédie. Le scénario en est subtilement pervers: Lacenaire veut devenir le fléau de la société parisienne mais attention, il veut le faire avec l’élégance d’un aède. Voilà ce qu’il tente d’expliquer à son pauvre disciple, un ex-prisonnier nommé Avril qui ne comprend pas grand chose aux raisonnements dithyrambiques du Maestro. A l’exemple d’un pantin manipulé, ce bougre sans-le-sou est prêt à suivre son prince machiavélique sur tous les Boulevards du Crime! L’appât du gain le mènera à sa perte tout comme Lacenaire qui finira à son tour sous le couteau de Dame Guillotine avec le seul regret d’avoir eu à lâcher sa plume!

La pièce d’Yvan Bregeon et Franck Desmedt est une œuvre en quatre actes mettant successivement en scène les stratagèmes et le procès du fameux « Bandit des quais de Seine ». Outre l’excellent texte consacré à cet assassin littérateur, l’interprétation des deux comédiens est fabuleuse: avec sa voix reptilienne et sinueuse Franck Desmedt incarne un Lacenaire des plus persuasifs. Qu’il s’agisse de sa diction ou de son attitude, il émane de cet acteur une certaine noblesse qui sied parfaitement au protagoniste: son port de tête est aussi droit que son orgueil, son corps semble fort comme son âme et il sait faire preuve d’un sang froid scénique impressionnant. En contrepoint, Frédéric Kneip compose un Avril au comble de la misère: le cheveu aussi sale que l’esprit, le dos voûté par la servitude, il est de la race des larbins que l’on ramène toujours vers la mouise où ils ont vu le jour.
Afin d’animer la danse macabre de cet étrange tandem, plusieurs personnages vont successivement prendre part au spectacle: apparait ainsi le procureur de justice faisant nerveusement tintinnabuler sa clochette, puis le Président de séance dissimulé derrière ses petites lunettes, et enfin le grand Prosper Mérimée qui, malgré son statut, ose à peine demander à Lacenaire l’obole d’un entretien. Tous ces figurants sont simultanément interprétés par l’hallucinant Frédéric Kneip. Ensorcelant de vérité, cet acteur semble pouvoir jouer tout jouer quel qu’en soit le registre. A l’exemple des grandes figures théâtrales du siècle dernier, il n’a nul besoin de costume ou de maquillage pour se travestir ou s’immiscer dans un rôle; son visage et quelques gestes suffisent à eux-seuls pour tout exprimer: le voici s’appropriant l’œil rond et apeuré d’Avril tandis que l’instant suivant il parvient à faire poindre sournoisement le sourcil interrogateur du Président. Sa mimique la plus succulente demeure cependant le regard scrutateur et répétitif du procureur qui toise dans l’ombre chacun des spectateurs de la salle osant déranger le cours du procès !
Parlons-en justement de ce procès, ce n’est pas un jugement ordinaire qui nous est offert mais plutôt une comédie soigneusement mise en scène par l’accusé : Lacenaire y mène le jeu de bout en bout et ordonne magistralement sa condamnation finale comme s’il avait lui-même choisi de se conduire à l’échafaud! Bien que cet homme soit fier et prétentieux, on s’attache à son personnage d’une noirceur lumineuse car, par delà la luxure ou le crime, il a le verbe lyrique, la prose cyniquement séduisante et le jeu de mot d’une richesse insolente! Sa façon d’exposer ses meurtres peut convaincre n’importe quel public car pour les défendre, ce fin stratège n’hésite pas à citer Shakespeare ou à se confondre avec Œdipe. L’arrogance dont il fait preuve envers le procureur nous emmène à sourire quant à sa volonté de « mourir en bonne santé », elle nous fait presque rire.
Même si la pièce est un peu trop romancée, elle permet de mieux comprendre la fascination que ce chanteur de crimes a pu exercer sur son auditoire postnapoléonien. Sa distinction et son phrasé sont d’une telle élégance qu’on aurait presque envie de lui pardonner ses fautes, juste pour lui laisser encore un peu de temps à soliloquer: au fil des siècles, si peu de meurtriers ont su prendre la plume au détriment du poignard pour écrire des sonnets…

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Lacenaire: Faire de sa vie une œuvre
D’Yvan Bregeon et Franck Desmedt
Avec Frédéric Kneip et Franck Desmedt ou Yvon Martin

Théâtre de la Huchette
23, rue de la Huchette – Paris 5e
Métro Saint Michel

Jusqu’au 30 Aout 2014
Du mardi au samedi à 21h
Réservation: 0143263899

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