Macbeth de Mnouchkine : une plongée épique dans les arcanes de la folie !

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ MAC – BETH: deux syllabes antagonistes. La première cinglante comme l’épée meurtrière d’un bourreau, la seconde soupirante comme le constat d’un désastre irréversible .

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L’histoire de Macbeth est une parabole de l’ambition humaine et des tristes séquelles qui en découlent. Sous l’impulsion de son épouse, le cupide Macbeth va assassiner son roi pour lui ravir sa place: il se doit de le faire car lors d’un songe, les harpies lui ont prédit ce glorieux avenir ; ces trois oiseaux de mauvais augure ont cependant omis de lui signaler le coût de cette ascension: ce prix sera celui du sang! Le sang du roi Duncan traitreusement poignardé par Macbeth, mais aussi celui de ses vassaux, de leurs enfants ou de tout ennemi potentiel voulant contrarier sa destinée faussement glorieuse… C’est ce flot de sang versé que nous conte la pièce de Shakespeare, ce sang innocent qui a souillé les mains de Macbeth et celles de son épouse pour plonger leur destin dans la culpabilité et la mort.
Une fois n’est pas coutume, Ariane est enfin de retour et elle a choisi de remettre en scène un grand classique shakespearien à la « sauce Mnouchkine ». Avec audace et inventivité, elle a délibérément transposé le récit de Macbeth à l’époque contemporaine tout en conservant les titres royaux des protagonistes et la préciosité du langage. Qu’on l’apprécie ou non, ce parti pris décalé est intéressant même s’il donne lieu à quelques incohérences et retire sensiblement l’aspect mythique de la tragédie: entre les tentes militaires, les paparazzis et les harpies déclamant leurs prophéties via internet, il est hélas difficile de discerner les landes brumeuses du Royaume d’Ecosse ou les sortilèges de l’œuvre originelle.
Quoiqu’il en soit, ce qui émane le plus de cette adaptation shakespearienne, est le côté épique et dévastateur de Macbeth. La pièce est inégale mais l’on en ressort littéralement abreuvé de prose et de folie. La troupe constituant le Théâtre du Soleil est, à elle seule, visuellement envahissante: sur les planches, près de cinquante comédiens sont présents pour nous faire revivre le drame de Macbeth: soldats, seigneurs, conseillers ou serviteurs, tous se relayent admirablement afin de servir la mise en scène de ce sombre conte. A la fois « artistes » et « techniciens », ils possèdent l’agilité d’une équipe de cambrioleurs et parviennent à jouer leurs rôles tout en transformant la décoration scénique en un clin d’œil. Durant les trois heures quarante du spectacle (car c’en est un !) la scène se meut continuellement sous nos yeux : l’on passe d’un champ de bataille à une roseraie parsemée de pétales, d’un somptueux salon tapissé à une salle de bal et l’on a même le privilège de voir des chevaux parqués dans des écuries! Au sein de ces compositions successives, tout est calculé dans le moindre détail: l’éclairage, la pose des tapis, les costumes, les trappes dissimulées dans le sol…
Afin de compléter ces superbes tableaux vivants, Ariane Mnouchkine a naturellement fait appel à son « barde attitré »: sur le côté droit de la salle, l’extravagant Jean-Jacques Lemêtre accompagne les tragédiens de ses compositions musicales durant toute la soirée. Semblable à un ermite à barbe blanche calfeutré dans un laboratoire phonique, cet homme-orchestre va alternativement taquiner près d’une vingtaine d’instruments aussi extravagants les uns que les autres: xylophone, contrebasse, viole de gambe, cithare…
En écho à sa musique, les dialogues des acteurs vont vous paraître également des plus « chantants »; le Théâtre du Soleil étant très hétéroclite, beaucoup de comédiens n’ont pas le français pour langue maternelle: les tirades se déclament donc à travers un foisonnement d’accents. Cela n’est pas désagréable mais la prononciation approximative empêche parfois le spectateur de comprendre certaines répliques. Certes une telle démarche sert noblement le propos de « théâtre universel » prôné par Ariane Mnouchkine mais elle nuit ponctuellement au suivi du texte.
La pièce étant toute fraiche, les prestations scéniques sont encore instables. Il en va ainsi de Serge Nicolaï qui nous offre un Macbeth à la diction lente et étrangement saccadée. Fort heureusement, son manque de prestance s’estompe dans la seconde partie et lorsque son personnage plonge dans la folie, il déploie alors tout son talent : Serge Nicolaï grime son visage de démence, prend son souffle et se transforme en un être incroyablement machiavélique. A ses côtés, la fallacieuse Lady Macbeth (Nirupama Nityanandan) possède une belle contenance, elle est cependant trop dominatrice pour une lady. Son allure dictatoriale accentue la couardise de Macbeth et transforme parfois son noble époux en bouffon. Elle est si avide de gloire et de pouvoir qu’au lieu d’épauler son seigneur, elle en fait sa créature et le terrasse jusqu’à ce qu’elle plonge elle-même dans l’hystérie. Les trois harpies sont, quant à elles, démoniquement géniales. Empêtrées dans leurs haillons, ces vieilles stryges apportent un côté ludique et fantasmagorique à la mise en scène. Avec leurs voix usées, leurs têtes gigantesques et leurs simagrées, ces amusantes sorcières animent les planches de leurs incantations et de leurs danses sabbatiques. Parmi les comédiens qui se démarquent, saluons la prestation de Vincent Mangado : tout en finesse et en fougue, il incarne un général Banquo à la diction tonique et véhémente. Dans le rôle du roi Duncan, rendons hommage à Maurice Durozier qui, à travers sa voix suave et ses épaules généreuses, compose un souverain des plus aimables; quant à son fils ainé, Malcolm, il est interprété par Duccio Bellugi-Vannuccini avec un mélange d’humour et de ferveur. Au sein de cette palette de grands seigneurs belliqueux, n’oublions pas la présence – très remarquée – du petit Fléance, le fils de Banquo. Chaque soir, il prend les traits juvéniles d’un des enfants de la Troupe et apporte des brassées de fraîcheur à la pièce.
Comme il est de coutume dans les représentations du Théâtre du Soleil, les comédiens participent également à la demi-heure d’entracte qui scinde le spectacle en deux parties: on les voit ainsi passer des coulisses au restaurant communautaire où sont servies d’excellentes soupes à la coriandre. Malgré cet interlude culinaire qui se déroule dans une immense salle peinte à l’effigie de Shakespeare, la mise en scène d’Ariane Mnouchkine semble ensuite s’étirer en longueur. On aimerait s’arrêter à l’acte IV en y incluant les meilleurs moments de la fin: il en va ainsi de Macbeth se cloitrant dans son bunker comme un psychopathe ou de la folie grandissante de Lady Macbeth tentant de laver désespérément le sang de ses mains meurtrières.
Malgré la schizophrénie des protagonistes et l’avalanche de crimes qui souille cette scène durant près de quatre heures, la fresque d’Ariane Mnouchkine n’est ni violente ni sanguinaire. Au contraire, elle nous porte, nous grise et nous questionne sur les causes réelles de ce carnage: par delà la convoitise et l’ambition de Macbeth, n’y avait-il pas dans cette âme humaine une prédisposition sous jacente au mal et à la folie ?
Macbeth de Mnouchkine ? Une épopée panoramique à voir absolument, ne serait-ce que pour fêter les 50 ans de la Troupe du Soleil ou pour souffler les 450 bougies en l’honneur de la naissance du grand William!

Macbeth
de William Shakespeare
Traduite et dirigée par Ariane Mnouchkine
Musique Jean-Jacques Lemêtre

Avec les comédiens du Théâtre du Soleil: Samir Abdul Jabbar Saed, Taher Baig, Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, François Bombaglia, Victor Bombaglia, Aline Borsari, Lucien Bradier, Sébastien Brottet-Michel, Sergio Canto, Juliana Carneiro da Cunha, Marie Chaufour, Camilia De Freitas Viana De Moraes, Saboor Dilawar, Eve Doe-Bruce, Ana Amelia Dosse, Blas Durozier, Maurice Durozier, Man Waï Fok, Camille Grandville, Astrid Grant, Joshua Halévi, Martial Jacques, Sylvain Jailloux, Dominique Jambert, Judit Jancso, Wajma Tota Khil, Eraj Kohi, Shafiq Kohi, Seear Kohi, Iwan Lambert, Quentin Lashermes, Agustin Letelier, Dionisio Mangado, Vincent Mangado, Andrea Marchant, Jean-Sébastien Merle, Alice Milléquant, Serge Nicolaï, Nirupama Nityanandan, Miguel Nogueira Da Gama, Seietsu Onochi, Vijayan Panikkaveettil, Ghulam Raza Rajabi, Omid Rawendah, Armand Saribekyan, Harold Savary, Luciana Velocci Silva, Frédérique Voruz

La Cartoucherie
Route du champ de Manœuvre – Paris 12e
T. 0143748763
www.theatre-du-soleil.fr

Jusqu’au 28 juin 2014

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