Maylis de Kerangal : De battre un cœur s’est arrêté

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Photo C.Hélie Gallimard/ Trop de romanciers ne retiennent aujourd’hui, du monde qui les entoure, qu’une leçon de débraillé. L’exercice du contraire n’est pas sans danger, tant la finesse et le talent passent pour démesurément arrogants. On jalousera, comme toute supériorité, le roman sans faute de Maylis de Kerangal.

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Ce livre a affolé la rumeur pour son sujet – la transplantation d’un cœur – lors même qu’il tire sa magie d’une écriture follement emballante mais qui requiert une attention extrême, tant Maylis de Kerangal pratique avec virtuosité l’art subreptice de l’éclat. « La femme se penche sur l’ordinateur et le bout de sa tresse caresse le clavier comme un pinceau chinois ». Tant pis pour le lecteur peu concentré ou impatient de savoir ce qu’il va advenir de Simon Limbres, surfeur de 19 ans, victime d’un accident de la circulation, inconscient à l’arrivée du SAMU, le cœur battant toujours.
On est cueilli à froid, comme un boxeur par un uppercut foudroyant, à l‘entame du premier round. Il faut puiser profond dans ses ressources, tenir la distance : 24 heures. Le temps pour les parents hébétés de retrouver leurs esprits ; le temps pour l’équipe médicale de leur annoncer que tout espoir est perdu, de les persuader de l’importance d’un don d’organes. Avec un luxe de précautions oratoires, tout en ne tardant pas. Il faut battre le cœur tant qu’il est chaud, alors que les parents cherchent simplement un lieu hors de tout lieu, où épuiser la douleur dans un silence qui les couperait d’un monde désorchestré. Le grand écart entre la détresse inouïe et l’airain de l’univers hospitalier. La gageure de concilier l’inconciliable. C’est une des prouesses de ce roman, taraudé par la question : que devient un cœur qui nous arrache le nôtre, lorsqu’il recommence à battre ailleurs, dans un corps inconnu ? Quelle force peut-elle nous enjoindre de répondre à l’insupportable par un déchirement rédempteur ? Celle de franchir ce que Maylis de Kerangal appelle « la membrane fragile qui sépare les heureux des damnés » .
Un roman qui participe du grand dessein kerangalien de redéployer les architectures du monde. Aussi une incantation chorale, portée par cette écriture d’une précision chirurgicale, mais sans le tranchant inexorable d’un phrasé au scalpel qui ôterait au récit sa part d’empathie. Réparer : notre hantise, face à ceux que nous avons offensés, les nus d’aujourd’hui ou les morts d’hier, qui nous doivent leur chagrin ou leur pitié…Il y a urgence de lire M. de K., de réclamer une perfusion de talent, le temps d’un éblouissement comme le roman contemporain en propose si peu.

« Réparer les vivants » Maylis de Kerangal, Verticales, 18,90 euros

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