The Notes : l’Ecossaise aux ratés jubilatoires
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Macbeth est loin d’être la tragédie de Shakespeare la plus accessible. Rappelons d’ailleurs que, selon la légende, prononcer le mot » Macbeth » porterait malheur et vouerait ensuite à l’échec toute représentation. La pièce écossaise, il faut bien le reconnaître, nécessite des comédiens de génie et des spectateurs….qui ne le sont pas moins pour supporter l’insoutenable chape de plomb qui pèse sur ces highlands du 11ème siècle et pour côtoyer ces deux époux royaux homicides à la folie hallucinatoire ou obsessionnelle.
C’est là qu’interviennent alors l’espièglerie et la pertinence de Dan Jemmett qui s’est certainement dit – avec son humour so british – qu’on ne pouvait raisonnablement pas imposer une pièce pareille aux spectateurs, même si c’est la tragédie la plus courte du grand William! Il a donc décidé de ne montrer de Macbeth que les coulisses…Si, en effet, voir des comédiens se noyer dans une pièce insoluble relève du pathétique et d’une probabilité d’ennui mortifère hautement élevée, assister par contre au compte-rendu ( après la générale d’une représentation ratée) d’un metteur en scène sans talent et d’entendre ses observations tantôt agacées, polies ou encore exagérément élogieuses – relève du jubilatoire! Surtout lorsqu’en plus, ce dernier patauge dans ses indications et s’embourbe lui aussi dans cette pièce de Macbeth dont il n’a assurément pas la carrure…
Sur le plateau, David Ayala est seul pendant presque deux heures , incarnant ce metteur en scène fat accroché à ses notes après une couturière et l’on ne peut que rire de bon cœur tant tous les travers des théâtreux s’expriment à travers lui . Des théories pompeuses soporifiques au rappel obsessionnel du rythme » Tempo, Tempo, Tempo! », du manque d’objectivité qui génère des chouchous que l’on encense même pour leurs idées fumeuses et des souffre-douleurs qui sont repris pour des détails ridicules aux conseils pratiques inapplicables, des parallèles cinématographiques ou littéraires nébuleux aux éclairs de génie sans lumière, du retour au TEXTE aux insertions malavisées de citations anglaises prétentieuses …voila l’occasion de réaliser peut-être toute la pénibilité du travail d’un comédien les soirs de répétition lorsqu’il s’est fourvoyé dans un mauvais casting !
David Ayala tient le plateau avec une énergie qui ne faillit pas et un naturel si impressionnant qu’il semblerait que chaque représentation soit unique et que le drôle improvise chaque soir à partir d’un canevas. De temps à autre, le noir envahissant la scène, le visage entouré d’un halo de lumière, le comédien est pris en otage par un personnage et l’on voit apparaître l’espace de quelques vers de Macbeth la noirceur corruptrice d’un jupon gaélique ou l’horreur d’une nuit spectrale . Rien, en effet, n’est oublié – même si le parti-pris est de placer l’humour au centre du plateau- ; la coloration hautement fantastique de la pièce est bien présente ainsi que les forces obscures qui éructent d’êtres qui se finissent par se laisser dominer par leurs pulsions barbares et se laissent envahir par leurs désirs de possession et de pouvoir…David Ayala excelle dans cette gymnastique périlleuse du grand écart. Il oscille entre tragique et comique d’une seconde à l’autre, incarne au plus profond de ses veines la déliquescence d’un couple assassin tout autant qu’il sait se métamorphoser en sorcières ( et provoquer de grands éclats de rire) au moyen de grimaces qui le défigurent. Il mérite donc des applaudissements retentissants.
Alors, c’est vrai, cette adaptation de Macbeth est – pour le moins – peu conventionnelle et les puristes n’y trouveront peut-être pas leur compte ; mais cet imbroglio de phrases tronquées, de citations inexactes, d’injonctions et de réflexions abracadabrantes » autour de Macbeth » permettent à adultes et adolescents d’approcher de façon singulière et accessible cette tragédie barbare , non pas dépoussiérée mais littéralement réadaptée ! » La vie est une ombre qui marche, un pauvre acteur qui se pavane et se trémousse une heure en scène, puisqu’on cesse d’entendre. » nous dit Shakespeare . La chute de la pièce est ainsi d’autant plus délicieuse car, justifier une mise en scène avec les mots même du dramaturge, voilà littéralement le moyen de clouer le bec à tous ceux qui n’auraient pas la subtilité d’apprécier ce moment théâtral de qualité! Y’en aura-t-il? On en doute!
Macbeth- The Notes
d’après Macbeth de Shakespeare
Conception et mise en scène: Dan Jemmett
Ecriture et adaptation: Dan Jemmett et David Ayala
Interprétation: David Ayala
Durée: 1h40
Prochaines dates :
Théâtre Jacques Carrière – Montpellier
Jeudi 24 et vendredi 25 septembre 2015
Du 30 octobre au 14 novembre 2015 – Théâtre Bouffes du Nord ( Paris )
Crédit-photo: Michel Corbière
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