Partez à la découverte des peuples du Septentrion…mais pas de trop près !

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Tiré à quatre épingles dans son costume blanc de colonisateur, Rodolphe a fait escale aux confins de la civilisation. Bien décidé à compléter sa thèse d’ethnologue par une expérience sur le terrain, il a osé prendre le train et parcourir la toundra pour se rendre au pied de la dangereuse Muraille Septentrionale. C’est là, à la limite entre le monde occidental et le territoire vierge des sauvages, qu’il a fait halte dans le bunker d’un tireur professionnel immatriculé KVV. Ce chasseur de barbares a été chargé de tuer tout individu susceptible d’envahir l’Occident et il mitraille de bon cœur la plus petite âme sous le regard complaisant de Rodolphe.

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Dissimulé derrière le mirador de cet étrange assassin, Rodolphe s’affaire à ses explorations : il scrute les plaines désertiques, assiste aux meurtres de dizaines d’indigènes, philosophe sur la destinée des peuples, et se persuade que ses observations vont faire avancer la science. Arrive alors le jour où l’un de ces autochtones s’immisce dans le QG surprotégé de l’ethnologue et prend part à son quotidien. Avec ses tragiques certitudes de colonisateur, Rodolphe se positionne en maître et désigne cet être inférieur du nom de Radjik. Persuadé d’être l’auguste ambassadeur d’une mission salvatrice, il fait de Radjik le guide de son étude et ose partir en sa compagnie à la rencontre des habitants du Septentrion. Dans cet « inoccident » hostile, le jeune scientifique frise le ridicule en se déplaçant en chaise à porteur avec tout son attirail. Aventurier naïf à la curiosité arrogante, il se sent soudainement grandir au contact de ces peuplades primitives : jour après jour, il observe leurs rites, relève leurs coutumes et récolte même quelques cranes afin de compléter son mémoire. Se retrouvant confronté à des chasseurs sanguinaires, il constatera à son insu l’impuissance de ses beaux manuels et de son savoir théorique face à la triste réalité.
C’est avec humour et panache que Xavier Béja interprète ce scientifique godiche et quelque peu raciste. Haut perché sur les hauteurs de son splendide trône-mirador, il domine la scène de sa supériorité mais ne peut cacher la peur qui ronge l’homme civilisé face aux instincts de survie des peuples primitifs. L’œil hagard, la voix gloussante et les zygomatiques bloqués en mode « sourire béat d’occidental », Xavier Béja force (un peu trop) la caricature afin de nous faire ressentir la maladresse et la fébrilité du grand savant blanc.
Le soliloque dans lequel se lance ce courageux comédien est d’une belle teneur mais la syntaxe de William Pellier est particulière car elle omet les verbes au profit d’une accumulation d’adjectifs. D’une rigueur toute scientifique, cette étrange prose nous fait songer à un décret ou à un relevé de géologue : énumération de dates, énonciation de données géographiques, descriptions des indigènes…durant toute la pièce les phrases nominales et les parataxes se succèdent et engourdissent peu à peu la narration. Au bout d’une heure, on a l’impression d’avoir été l’assistant de ce drôle d’ethnologue et l’on s’interroge à notre tour sur la récolte de nos observations : l’homme occidental, aussi civilisé soit-il, est-il vraiment un modèle plausible pour l’ensemble de l’humanité? Au delà de son savoir scientifique et de son apparence, sa cruauté n’équivaut-elle pas, somme toute, à la barbarie du sauvage ? Une pièce étrange comme le carnet et les annotations d’un explorateur…

Le tireur occidental
Texte de William Pellier
Mise en scène Michel Cochet
Avec Xavier Béja

Théâtre Le lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – Paris 6e
A partir du 8 janvier 2014 / Du mardi au samedi à 19h
Réservations : 0145445734

L’intégralité du texte de William Pellier « Le tireur occidental » est disponible aux éditions Espaces 34 : www.editions-espaces34.fr

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