Marivaux et l’amour à mourir de chagrin

par
Partagez l'article !

Par Julie Cadilhacbscnews.fr/Crédit-photo: Brigitte Enguerand/ L’Epreuve, comédie sentimentale en un acte de Marivaux, est une des dernières pièces que l’auteur a écrites avant de mettre fin à sa carrière dramatique.

Partagez l'article !

Une pièce superbe, pleine de fougue, d’humour grinçant et d’un badinage galant et précieux dont les mots se font les interprètes tantôt complices, tantôt traîtres. Un acte unique où le travestissement cher à Marivaux n’est pas oublié, où les jeux de l’amour s’avèrent douloureux quand le doute s’immisce et où ils perdent tout leur charme dès lors que la vénalité corrompt les âmes. Riche en stratagèmes amoureux, en valet et servante impertinents, en passions violentées, en antiphrases criantes et en litotes délicates, on y retrouve à plaisir tout l’art singulier du grand dramaturge.

L’épreuve serait-elle une oeuvre théâtrale à valeur testamentaire comme le laisse supposer le metteur en scène Clément Hervieu-Léger en faisant lire, en guise de conclusion, le testament de Marivaux par Nada Strancar (Mme Argante) adressé à une jeune femme du même nom que le personnage courtisée tout au long de la pièce (« je fais et j’institue ma légataire universelle Mademoiselle Angélique Gabrielle Anquetin de la Chapelle Saint-Jean et la nomme mon exécutrice testamentaire« )? La désespérance masochiste, les rancoeurs indélébiles, la violence des mensonges avec laquelle se flagellent les amants, l’indécision et l’instabilité des sentiments mettent l’amour à rude épreuve et l’on ressort de cette pièce avec un reliquat d’amertume et d’interrogations sur la pérennité de l’amour et la qualité de ses fondements.  L’Epreuve met en scène un plan amoureux aussi désespéré que machiavélique. En effet, si Lucidor, fils d’un riche bourgeois dont la santé est fort fragile, éprouve tant le besoin d’éprouver les sentiments d’Angélique au risque de la perdre par l’acharnement de sa démarche, c’est aussi qu’il souffre d’un maladif manque de confiance en lui et en les autres. La machination égoïste ne nuit d’ailleurs pas qu’à son instigateur, son ami Frontin perdra à cause de son badinage forcé les faveurs de Lisette qu’il chérissait. Oui, c’est une pièce  peu gaie assurément où l’amour est le grand perdant : Angélique quitte le plateau la mine désolée, Lucidor ne rit pas non plus- les embrassades enjouées des dénouements de comédie n’ont pas lieu- Lisette épouse Maître Blaise par mutuel accord lucratif et Frontin repart le bec dans l’eau. Ainsi, le décor épuré où ça et là traînent une chaise, un panier ou un coeur qui bat, la présence solitaire d’un tronc dénudé aux ramures géométriques et aux cavités en escalier et la toile de fond orageuse augmentent la profonde mélancolie de l’ensemble. Alors, certes, les avis divergents: certains sortent transportés et émus par cette histoire sentimentale à teneur pathétique, d’autres détestent la facture trop classique de la mise en scène et la diction parfois négligée . « On n’est pas maître de son coeur » disait à juste titre Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux et la mise en scène de Clément Hervieu-Léger en appelle à cet organe capricieux et partial par sa volonté de ménager des silences, des regards approfondis, des latences qui torturent tant tout semble indicible. Tout le secret est dans cette mystérieuse alchimie qui se concrétise ou pas entre le coeur du spectateur et celui du plateau. Voilà une pièce qui ne laisse en tous cas pas insensible et que nous avons aimée, en vrac, pour la naïveté charmante de ses interprètes, jeunes, frais et énergiques, le génie d’une langue qui raconte la sempiternelle histoire des amours contrariés, le théâtre classique qui ne doit point être boudé parce qu’il se met au service d’un texte et non d’une volonté d’apporter un regard nouveau sur une pièce et puis tiens, aussi pour les rires de l’ado du fauteuil d’à côté, sincère et charmé.  « Il n’y a point de plaisir qui ne perdre à être connu » alors généreusement, on partage….

Titre: L’épreuve

Auteur: Marivaux

Mise en scène: Clément Hervieu-Léger

Avec Nada Strancar, Audrey Bonnet, Adeline Chagneau, Loïc Corbery, Daniel San Pedro, Stanley Weber…

Les dates de représentation:

Du 28 février au 3 mars 2012 au Théâtre des Vents ( Montpellier)

Du 7 au 9 mars 2012 au Théâtre Municipal ( Perpignan)

Le 21 mars 2012 au Théâtre du Casino ( Deauville)

Les 23 et 24 mars 2012 au Théâtre de la Piscine (92/ Châtenay-Malabry)

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à