13 vents : une entrée en matière aussi virulente que sensible
Par Julie Cadilhac – PUTSCH.MEDIA / R.E.R, pièce de Jean-Marie Besset, dramaturge et nouveau directeur du Théâtre des 13 vents, a rencontré un accueil chaleureux ce jeudi 23 septembre. Ce soir de première, le public a beaucoup ri et approuvé le verbe cynique qui se pratiquait sur scène. Dans les rangs, à la sortie, on a pu entendre certains parler du vent heureux du changement . Assurément le plateau du centre dramatique montpelliérain doit sentir des vibrations divergentes de celles qui règnaient jusqu’alors. Si R.E.R, par son thème accessible et résolument moderne, sa mise en scène « cinématographique » et la généreuse spontanéité de ses comédiens poursuit la volonté du lieu de présenter des pièces « contemporaines », le ton empreint de sensibilité et d’humour, la volonté de plaire plutôt que de déstabiliser, enfin l’impulsion de vie , qui transpire des mots aussi que bien que des cordes vocales, tracent l’ébauche du nouveau visage de la scène des 13 vents.
S’inspirant d’un fait réel, R.E.R est la collision de deux Frances, celle des « petites gens » frustrés et empêtrés de rêves inaccessibles et celle d’une classe dirigeante qui, malgré son savoir et son apparente maîtrise des choses, est soumise aux mêmes besoins vitaux et tente de résister en vain à des impulsions déconcertantes.
R.E.R est un aller simple vers notre identité, ce Qui je suis et Pourquoi je vis sur lequel reposent toutes les angoisses de notre pauvre existence humaine.
Le texte de Jean-Marie Besset est savoureux ( même si l’on regrettera la récurrence du verbe « baiser » qui, s’il exprime fort bien par sa répétition notre nature animale, obsessionnellement tournée vers le sexe et l’envie d’être aimé, n’en demeure pas moins un mot bestial et vulgaire qu’il est bon d’utiliser avec parcimonie).Coup de coeur pour la tirade d’Herman sur le téléphone- majordome, petit bijou burlesque!
La mise en scène de Gilbert Désveaux ,accompagnée de décors coulissants, joue du statut voyeuriste du spectateur et nous confronte à des scènes d’une intimité dérangeante. Sans artifice, elle laisse à voir l’Autre, ce Nous que l’on refuse et qui se tortille dans son fauteuil, rit jaune devant le repassage-pamphlet de Madame Argense et s’enfonce davantage dans la baignoire d’Herman.
Deux interprêtes lumineux dans cette tragi-comédie : Didier Sandre, en avocat homosexuel aussi charismatique que désoeuvré, interprête avec justesse un Cyrano actuel amadouant Roxane pour les beaux …pectoraux de Christian. Mathilde Bisson et sa voix d’oiseau blessé, une Jeanne- Piaf aux tenues excentriques, la fille aux valises, incarne un personnage touchant. Lahcen Razzougui et Chloé Olivères « ont la dispute remarquable ». Quant à Marc arnaud en Jo, petit ami veule et vénal de Jeanne, il joue fort bien son rôle d’individu antipathique…trop bien même…on ne sait plus ensuite si c’est le comédien qui déplaît ou son rôle…
« – Tu aimes le théâtre…
– Faut croire pour prendre des risques pareils.. » réplique Herman à Joe en pleine crise de confidence.
Nous aussi et on est prêt à prendre la prochaine rame!
Pour en savoir plus:
Jean-Marie Besset s’est inspiré de deux faits divers. En 1987, à Washington, une adolescente noire, Tawana Brawley, est retrouvée prostrée dans un sac plastique, les cheveux tailladés, recouverte d’excréments et de tags racistes. Elle accuse six hommes blancs de l’avoir enlevée et violée. En 2004, Marie-Léonie Leblanc, déclare avoir été agressée violemment et tatouée de croix gammées par six noirs et maghrébins dans le R.E.R parisien sous prétexte qu’elle semblait juive. Quelques mois, ou heures plus tard, on découvre qu’il s’agit d’affabulations de jeunes femmes désespérément seules et qui cherchaient à se faire remarquer . » Les similitudes des deux affaires m’ont frappé: chaque fois un manque éperdu d’amour[…]Mensonge déchaînant des forces immenses, qu’on a pu juger « disproportionnées » aux malheurs qui en étaient la cause. Mais l’étaient-elles en fait? Et qui peut juger du malheur? [ ..] Il fallait raconter ces intersections, ces croisements inattendus, ces collisions sidérantes ».
R.E.R de Jean-Marie Besset ( durée 2h)
Mise en scène: Gilbert Désveaux
Du 23 septembre au 9 octobre 2010 au Théâtre de Grammont ( 13 représentations).