Marion Aubert : la Reine de l’Imaginaire
En résumé? Marion est une adulte, Marion parle des Orphelines qui est une pièce de théâtre pour les enfants. Marion dit qu’elle mêle toujours le vrai et le faux. Marion ne sait pas qu’elle contamine. Marion ne sait pas que son écriture imagée et profondément contemporaine ouvre des chemins de pensées troublants et déstabilisants. Ou alors elle sait? Marion mobilise ses mots pour parler d’universalité, pour crier gare aux folies des Hommes (avec un grand H, hein?), pour titiller les prises de conscience des femmes…mais chut! c’est faux! Marion ne fait pas tout ça; elle écrit, c’est tout. Et elle sourit. Avec la modestie que seuls diffusent les gens qui ont du talent.
A l’origine, c’est une commande d’une auteur qui s’appelle Pauline Sales et qui dirige le Centre Dramatique Régional de Vire en Normandie avec Vincent Garanger. C’est d’ailleurs une des premières femmes à diriger un centre dramatique. Pour sa première saison, elle a choisi le thème » La femme est-elle un homme comme les autres » donc elle m’a passée une commande très précise: elle voulait que j’écrive un texte pour les enfants ( à partir de huit ans) pour des marionnettes qui serait mis en scène par un metteur en scène-marionnettiste qui s’appelle Johanny Bert et pour les acteurs de la troupe du CDR. Le thème? Le point de départ était « les mères infanticides en Inde ». On sait que les mères tuent leurs petites filles à la naissance mais il y a aussi de plus en plus de foeticides depuis qu’il y a des échographies: on détecte le sexe de l’enfant donc c’est un progrès mais ce n’en est pas véritablement un car il y a des villages entiers où les déséquilibres démographiques sont importants. Voilà, ça, c’était le point de départ et plus largement il me fallait réfléchir sur « qu’est-ce que c’est que d’être une petite fille? qu’est-ce que c’est d’être un petit garçon? ». Après elle savait très bien en me demandant à moi que j’allais m’éloigner du sujet. Il n’y avait pas du tout un désir de théâtre documentaire ou réaliste.
Il est vrai que je me demandais comment vous aviez décidé d’aborder un thème aussi dur pour des enfants…
Je crois qu’effectivement ça me serait jamais venu à l’esprit toute seule! C’est la première pièce conséquente que j’écris pour les enfants. C’est vrai que depuis que j’écris, l’on me dit très souvent qu’il y a de l’enfance dans mes textes et on m’a posé la question du pourquoi je n’écrivais pas pour les enfants. Pauline a fait le pas de me passer cette commande mais je crois que spontanément je n’aurais jamais songé à parler d’un tel thème. Cependant, ce que je trouve pertinent, avec le recul, dans cette demande, c’est qu’enfant, on est très concerné par ces choses-là du monde. J’ai souvenir dans mon enfance de m’être sentie plus concernée par le monde qu’à d’autres périodes de la vie, beaucoup plus qu’à la post-adolescence ou même à l’adolescence où l’on est davantage auto-centré…enfant, les grandes questions de vie, de mort, d’injustice me préoccupaient donc j’ai trouvé ça en définitive assez juste de travailler sur ces thèmes-là pour des enfants.
Et puis la contrainte, finalement, devient impulsion, parce qu’il faut la contourner et faire avec…
Bien sûr, ça a été pour moi difficile et j’ai tapé dans plusieurs portes avant d’être satisfaite mais en tous cas, je suis ravie, même si j’ai peiné et que c’était laborieux, d’avoir travaillé sur un sujet pareil.
Les images de la mort sont récurrentes, la petite Violaine, son tombeau, son linceul… Est-ce une volonté de dédramatiser? En parler beaucoup, est-ce une façon d’exorciser?
Effectivement, d’en parler beaucoup, c’est une façon de s’en libérer. Très souvent mes personnages parlent beaucoup, trop, sont dans l’excès et l’excès permet soit de rire soit de mettre à distance. L’exorcisme, c’est très juste comme image car ils sortent d’eux-mêmes et du coup ils apprivoisent la mort. En tous cas, elle devient moins menaçante, moins angoissante parce qu’on l’apprivoise comme le Petit Prince et son renard.
Le sexe tient aussi un grand rôle… Eros et Thanatos… Je pense à l’intermède zizi notamment… Quel rôle avez-vous voulu lui donner?
En fait, dans la pièce, l’intermède est porté par les diablons. Il y a trois moments, le prologue, l’intermède et l’épilogue – il y a d’ailleurs deux fois des intermèdes – et ces diablons sont effectivement très primaires. La première relation que j’ai construite en écrivant, c’était l’histoire de Violaine et de Monsieur et j’étais assez contente de cette relation qui est mélancolique, belle, étrange mais j’avais envie, pour les enfants, de quelque chose de plus relevé, joyeux, épicé qui permette justement de se libérer, qui permette au rire d’arriver, de se délivrer de toutes ces images angoissantes. Aussi, pour moi, c’était un bon moyen d’utiliser les diablons comme des personnages de farce, des vrais guignols. Après cet intermède n’est pas juste là pour faire rire, il est effrayant: c’est un royaume de zizi, ça parle de la domination masculine véritablement! Après ça m’amuse d’en parler à double niveau, il y a évidemment une lecture pour les adultes et une pour les enfants mais… voilà, je me dis que ça fait un pacte, que ça leur parle directement et de choses concrètes aussi.
Vous êtes donc parti de la relation entre Violaine et Monsieur pour écrire votre pièce?
Pour être honnête, je ne sais plus exactement comment j’ai commencé, ce sont des choses qui se sont développées en parallèle. Ce que j’ai imaginé pour relier, c’est que la petite Violaine venait de ce royaume-là et le père de la petite Violaine, c’est le roi du royaume zizi et donc, dans ce royaume zizi où l’on élimine les petites filles etc… c’est ça qui fait le lien entre les deux histoires. J’ai beaucoup tâtonné. Je savais que je devais écrire pour les marionnettes donc c’est sûr que dans ces diablons-là, on sent l’aspect guignol de la marionnette alors que Violaine, c’est une marionnette à la Tim Burton, beaucoup plus étrange. Mais à propos de la relation Violaine-Monsieur, je me suis posée beaucoup de questions mais je ne me suis pas tant nourrie d’écrits théoriques sur l’enfance mais beaucoup plus de littérature enfantine et je crois que c’est la relation dans Le Petit Prince entre l’aviateur et l’enfant qui m’a inspirée. Ce qui m’a plu, c’est cet adulte qui apprend autant de l’enfant que l’enfant apprend de l’adulte, c’est ça que j’avais envie de redonner.
Monsieur, le grand écrivain, insiste sur l’énonciation; il répète systématiquement: » je dis », « elle dit »… Pourquoi? Est-ce une forme de distanciation…? Une volonté de créer une complicité nécessaire avec le public?
C’est effectivement pour faire le lien entre le public et le plateau, le monde imaginaire. Monsieur est un rôle de distanciation, encore une fois pour créer cet espace possible où » tout est vrai mais tout n’est peut-être pas vrai et tout est faux ». Juste pour dire qu’on est toujours dans de l’illusion, toujours dans l’illusoire, que c’est du théâtre. C’est devenu un peu une marque de fabrique et très souvent ça arrive dans mes pièces pour adultes. Monsieur, la première fois qu’il m’est apparu, je l’ai appelé L’homme-Pratique parce qu’il était bien pratique justement et qu’il me permettait de briser le quatrième mur; très souvent, je fais un théâtre qui aime bien s’adresser directement aux spectateurs. C’est un peu un retour aux sources avec le théâtre antique et le choeur qui parle directement aux gens mais cela revêt à la fois un effet d’immédiateté et à la fois de distance, c’est ça que j’aime, d’être à la fois complètement dans le présent et à la fois complètement dans un autre monde.
J’y avais vu un tic langagier et enfantin… Aussi je me demandais: y a-t-il vraiment des adultes dans cette pièce car Monsieur semble pris en otage par ses émotions, terrorisé souvent par les petites filles…
Je n’y pensais pas au moment de l’écriture mais c’est vrai que j’ai un petit garçon qui a trois ans et je lui lis évidemment beaucoup d’histoires et effectivement très souvent on trouve ce « dit-il », « dit-elle »; mais c’est moins leur langage à eux, j’ai l’impression, que l’histoire qu’on leur raconte. Donc je ne sais pas si l’inconscient a agi là-dessus.
Monsieur , pour moi, il est adulte malgré tout, même s’il a par moments des comportements sans doute enfantins. Ce qui le rend adulte, c’est qu’il ne se défend pas d’être démuni, il accepte de l’être. Il accepte des fois de ne pas savoir et parfois il est prisonnier de ses façons de penser adulte, de ses mécanismes adultes. J’aime bien que parfois le rapport s’inverse, je crois que ce qui m’intéresse, c’est que parfois l’enfant est plus adulte que l’adulte et l’adulte est plus enfant que l’enfant. En même temps, au bout du compte, je pense qu’on ne pourrait pas les confondre, c’est quand même Monsieur l’adulte. Par moments, d’ailleurs, il se reprend lui-même et il se dit « c’est quand même moi l’adulte de l’histoire! »
Oui, ce monsieur est assez complexe. C’est un écrivain, c’est un peu vous? Le personnage de Violaine vous a -t-il un peu hanté aussi?
La pièce raconte en sous-texte véritablement cette enquête que j’ai faite moi, à mon bureau, en train d’essayer de comprendre cette catastrophe… et de réaliser qu’on est démuni… la seule réponse possible pour moi, c’est l’écriture et c’est d’ailleurs la seule réponse de Monsieur à la fin qui dit » je vais faire quelque chose pour toi, je vais écrire.. »C’est tout ce qu’il peut lui offrir. Et puis voilà, on n’a pas un mode d’emploi pour être adulte, on n’a pas de mode d’emploi pour savoir comment se comporter avec un enfant, tout n’est pas écrit et j’ai l’impression qu’on tâtonne et j’ai essayé d’être honnête par rapport à ce tâtonnement-là de l’adulte, pour dire qu’il n’a pas raison sur tout, des fois il se trompe, des fois il se fait marcher dessus. Ce sont des questions qui m’intéressent profondément et que je trouve belles aussi. Dans le Petit Prince, parfois on a l’impression que l’aviateur est rabroué, qu’il ne comprend rien et que l’autre a compris des choses beaucoup plus essentielles. On ne comprend pas les mêmes choses quand on est adulte et quand on est enfant. Quelque chose se perd, quelque chose se gagne.
Pour être honnête, je n’ai vu qu’un filage mais j’ai eu – bien évidemment- les acteurs au téléphone donc j’ai eu des retours des premières représentations et puis j’ai fait plusieurs fois des lectures de cette pièce. Pour le moment, j’ai quand même le sentiment que ça les traverse, que ça les interroge, en tous cas que ça ne les laisse pas indifférents alors ça se traduit très différemment. Pendant la représentation, il y a apparemment beaucoup de rires. J’ai entendu dire qu’une petite fille à l’issue de la représentation a demandé à sa maman » si nous étions en Inde, est -ce que tu m’aurais tuée? », ou un petit garçon qui a dit » j’ai rien compris mais c’est génial! ». Je crois que ça leur fait quelque chose mais ils ne savent pas bien quoi.
Au moment de l’écriture, je ne me pose pas la question du comment je vais les faire rire. Je me fixe déjà sur ce que j’essaye de leur dire. Après ça passe plus par l’excès. L’excès les fait rire, comme les adultes d’ailleurs mais chez l’adulte, il y a quelque chose de l’ordre de la censure, de l’auto-censure qui fait qu’on rit moins volontiers. Mais chez l’enfant, je sais que le mot zizi, ça va les faire hurler de rire. L’adulte, je ne me dis pas que ça va le mettre dans un état d’hilarité. Hier, j’ai lu cet extrait devant trente élèves de cinquième et ils étaient hilares, hilares, hilares. Et hier matin, je l’ai lu devant des troisièmes option russe et ils étaient beaucoup plus retenus. Donc ça dépend beaucoup de qui on a en face: on ne rit pas pour la même chose. Des fois, c’est simplement le fait de parler d’amour qui les met dans un état de confusion. Il y a des choses qui me font sourire quand je les écris mais dont je ne pense pas qu’elles vont provoquer l’état d’hilarité, et pourtant l’idée qu’un auteur fouille dans les poubelles et qu’il mange des pelures de patates, ça fait beaucoup rire les plus petits par exemple.
Je me pose des questions vis à vis de mon public dans la censure que je me fais à moi-même: pour les enfants, il y a un champ lexical que je ne me permets pas. Ainsi, la scène de Léopold qui » se balade avec une fille qui a l’air d’une truie », au départ j’avais écrit « qui a l’air d’une pute ». Je préfère la seconde mais je l’ai censurée pour les enfants. La longueur aussi, j’écris des choses plus courtes. Les thèmes…par exemple quand j’ai écrit cette pièce, avec les restes, j’ai écrit beaucoup de textes en plus sur la prostitution des enfants, j’ai écrit des textes sur la sexualité mais beaucoup plus violents et je me suis dit que ça, ce n’est définitivement pas pour les enfants, et on en a fait une forme pour adultes… la version censurée. J’ai essayé, même si la pièce est beaucoup plus libre qu’une histoire classique, d’épauler l’enfant. Le personnage de Monsieur, par moments, est explicatif: il explique pourquoi il est dans son pays, en quoi consiste son travail et c’est peut-être des choses que je n’aurais pas faites si j’avais écrit pour des adultes. J’ai l’impression qu’il fallait leur donner un peu la main pour les accompagner dans cette histoire.
Lorsqu’on est dramaturge et comédienne, écrit-on en envisageant déjà le plateau? L’écriture est-elle indissociable du jeu?
Je ne vois pas véritablement une mise en scène parce que ce n’est pas mon travail. Après, l’expérience et le quotidien du plateau font que de toutes façons, c’est sûr que c’est écrit pour des acteurs avec cette connaissance-là. Je ne le vois pas forcément la mise en scène mais je commence à en connaître bien les mécanismes donc ça travaille malgré moi.
… Cela s’est un peu construit en parallèle. J’ai toujours plus ou moins écrit depuis l’enfance. Des lettres surtout, parce que je déménageais beaucoup. Et puis j’ai voulu être comédienne à l’âge de quinze ans, je suivais un atelier théâtre au lycée, après je suis rentrée au conservatoire à dix-huit ans et j’ai rencontré justement Marion Guerrero et les filles de ma compagnie. J’ai écrit ma première pièce pour elles en première année et depuis je n’ai jamais cessé de faire l’un et l’autre, c’est vraiment complémentaire.
Dans la compagnie Tire Pas La Nappe, il n’y a que des femmes…
Au départ, ce n’était absolument pas volontaire, c’était plus des affinités collectives qui se font comme ça mais au bout du compte je crois que ça raconte quelque chose. C’est marrant parce qu’on a eu une prise de conscience féministe un peu tardive ; il y a eu un rapport Reine Prat qui est au Ministère de la Culture, sur les femmes dans le spectacle vivant qui est assez terrible: 97% des directeurs sont des hommes, 85% des textes que l’on joue sont des textes d’hommes. Il y aura toujours moins d’argent, pour une compagnie, lorsqu’un projet est porté par une femme, dans les grands théâtres, il n’y a que des hommes dans la programmation: ce sont des choses dont on ne se rend au départ même pas compte et là, le 27 janvier, on organise une rencontre au Diagonal Capitole avec Mathilde Monnier, qui est la directrice du centre chorégraphique de Montpellier, Marion Guerrero, Moi, Geneviève Fraisse qui est philosophe et a été député interministériel aux droits de la femme. Le Diagonal passe «La domination masculine», un documentaire de Patrick Jean, qui aborde cette question. En tous cas, c’est un sujet qui nous travaille. Après, il y a toujours des hommes dans nos créations parce qu’on a envie de travailler avec des hommes. Mais maintenant, depuis que je sais ça, je ne regarde pas le monde tout à fait de la même façon. L’autre jour, je tombe sur un article qui disait que les jeunes et les femmes sont les premiers touchés par le chômage. C’était sur une page du Figaro et tous les blogs étaient tenus par des hommes et je me dis » c’est fou quand même »! On ne réalise plus que c’est encore les hommes qui ont le pouvoir et que ce n’est pas rien dans l’imaginaire collectif. Moi par exemple, je n’ai pas une tête de directeur, pas une tête d’écrivain, et très souvent, moins maintenant parce que je vieillis ( rires) et que j’ai plus de poids sans doute. Il y avait comme une dichotomie entre moi et l’image de l’écrivain que les gens se représentent alors qu’on n’est pas forcé d’avoir une barbe et d’être pédant pour écrire. C’est une question, sans être virulente du tout, qui est importante d’être creusée, de voir comment on peut faire bouger les choses.
Au départ, dans Les Orphelines, mon personnage c’était Mademoiselle et puis après j’ai mis Monsieur pour la distribution… comme c’était un acteur. Et j’aurais aimé que ça reste mademoiselle. En même temps, je me dis que j’ai perdu d’un côté, dans le fait de représenter un personnage de femme-écrivain, mais que cet homme-là, il a quelque chose de très maternel et c’est pas mal aussi.
Combien de comédiens pour jouer cette pièce?
Ils sont trois. il y a les deux diablons et puis Monsieur. La Diablone joue le rôle de Violaine, c’est la voix de Violaine et elle manipule sa marionnette.
A la fin du livre, se trouve un texte à dimension autobiographique…dans quelle mesure cette pièce a -t-elle mobilisé votre vécu?
C’est une demande de l’éditrice. J’aime bien d’ailleurs lire dans les livres d’Acte-sud ces textes d’auteurs surtout que l’on n’ écrit pas sa biographie de la même manière lorsque l’on s’adresse à des enfants ou des adultes. Comme toujours, chez moi, même ce qui est vrai est faux, c’est toujours de la fiction. Mon père n’était pas espion mais j’aimais bien me raconter ça petite et je ne trouvais donc pas ça malhonnête de l’écrire comme ça. Moi je mets toujours de moi dans ce que j’écris après ce n’est pas par narcissisme mais plus par souci de vérité, d’être absolument honnête par rapport à la place d’où j’écris, depuis ce que je connais. J’ai l’impression que le singulier permet d’avoir accès à l’universel; c’est un grand débat. Que plus on est singulier, plus on a de chances de ne pas dire des généralités.
Pourriez-vous dire que votre univers s’adapte à tous types d’âge parce qu’il mêle réalité abrupte et imaginaire puissant?
C’est très juste de dire que je travaille entre ces deux points: si je pars de moi, c’est toujours pour aller le plus loin possible. Dans Orgueils, c’est beaucoup plus proche, c’est une auto-fiction, mais extrêmement loin aussi. Il y a des personnages excessifs mais je me mets moi-même en scène puisque c’est l’auteur, Mme Aubert, qui est en scène, des doubles de l’auteur. C’est vraiment très lié à l’enfance cette chose-là de partir de soi et de pouvoir parler de tout et d’être tout. C’est le » si imaginaire » qui débloque tout. Je trouve ça très théâtral. Après c’est plus les thèmes ou le champ lexical qui font que mes textes ne seront pas adaptés pour les enfants ou lorsque le langage va faire écran. Dans Orgueils, je suis sûre qu’il y a une scène qui va faire écran, même chez les adultes, c’est une scène d’insultes… et c’est tellement trop pour moi, tellement excessif que ce n’est pas simplement des beaufs qui s’insultent, il y a quelque chose de grotesque, d’ubuesque, de pataphysique Jarry… oui, c’est l’accumulation qui va déranger. Ce que je peux comprendre. Chez certains, ça peut faire complètement barrage, on n’entend que le mot et on se dit « c’est vulgaire, c’est pas pour moi». Je le comprends parce que mon fils commence déjà à rapporter des gros mots de l’école et ça me choque profondément.
Est-ce l’idée que le spectateur a encore l’idée qu’il y a des mots que le comédien ne doit pas formuler?
C’est aussi qu’on n’a pas tous le même degré de distance. Pour moi, à partir du moment où l’on est sur une scène de théâtre, on peut tout se permettre. En plus je crois qu’on DOIT se permettre, que c’est vraiment l’endroit. Sauf ,encore une fois, quand on s’adresse à des enfants, car là on a un devoir de responsabilité et j’essaye de ne pas trop de les égarer. Mais les adultes alors, je n’ai aucun scrupule à les égarer.
« Orgueil, poursuite et décapitation »…une comédie familiale et hystérique… Comment nous la résumeriez-vous?
C’est une pièce sur les pathologies familiales et sur les doubles. Sur la place de la femme aussi, je m’en suis rendue compte après l’avoir écrit. On voit la femme dans des situations familiales, professionnelles, nationales. Il y a eu un article dans Libération, il n’y a pas si longtemps: encore 80% des femmes font les tâches ménagères. Honnêtement, ce n’est pas du tout mon cas, j’ai un mari à qui je ne peux faire aucun reproche là-dessus mais c’est fou comme les stéréotypes, les clichés sont encore ancrés. Un homme fait un couscous, on en parle pendant quinze jours. C’est terrible mais c’est vrai. L’air de rien, tout est encore normé et quand même il faut que ça change. Même moi, je le sens sur moi alors que tout va bien. Je sens que je vais culpabiliser dès que je m’occupe un tout petit peu moins de mon fils, de par mon métier alors que mon mari ne culpabilisera pas du tout. Je crois que c’est inscrit en nous » ma mère doit s’occuper de moi »! Ce sont des héritages lourds et compliqués. Ce n’est pas une attitude plaintive, c’est juste que je pense qu’il est bon de s’interroger. On est complice, nous femmes, de cette situation encore car on n’accepte pas toujours de lâcher prise aussi.
C’est mon éditrice qui m’a parlé de cette jeune femme. Elle m’a proposé, j’ai trouvé ça assez juste et je suis assez contente. Toutes ces grandes femmes, je trouve ça assez beau. Parfois, il manque juste le côté pétard des diablons. Cette grande femme avec tous ces petits souliers, je la trouve très belle aussi. Je crois que j’aurais aimé les regarder, enfant ,ces images qui sont un peu étranges, qui font rêver.
Quels projets pour 2010?
Tourner beaucoup avec Orgueils, Poursuite et Décapitation. On est huit , peut-être neuf sur scène, ce qui est déjà un bon plateau.
Propos recueillis par Julie Cadilhac /Photo Alessandro Genovesi