Le cinéma, la route e(s)t tout le reste.

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C’est quoi la route au fond, c’est quoi ?
C’est une ligne de bitume, une trajectoire, un but, une envie, un voyage, un rêve, une idée ?
Peut-être tout ça ?
Ou peut être est-elle différente à chaque fois, interprétée mille fois par des yeux différents, alors on pourrait la filmer ?
Elle pourrait se traduire le long de la pellicule, comme une histoire, ou plutôt comme des histoires, des centaines d’histoires qui sont la route ou l’empruntent quelques instants pour un passage mystique nécessaire au souffle d’une vie, de la plus petite condition de l’être à la folie offerte le long de cette ascension profonde et interminable.
Le cinéma a toujours regardé la route, de toute les manières possibles, au delà même de l’imaginaire, elle est évoquée, parcourue, idéalisée, destructrice et salvatrice, elle est perceptible grâce à des regards différents, elle en devient même impalpable, elle est infinie, on prend la route et puis…
L’évocation de la route est habitée par des centaines de façons, des plus brutales comme La ballade sauvage de Terence Malick, au parcours initiatique évoqué dans «Les sentiers de la perdition» de Sam Mendes.
La route peut n’être qu’un accessoire matériel n’ayant comme attrait que le simple et logique acheminement d’un point vers un autre, mais lorsque elle est spirituelle, lorsqu’elle prend son sens pour accompagner un destin, devenir le fluide indispensable d’une quête spirituelle, elle devient une idée en soi, un réel accomplissement, une vie, tout commence, tout fini mais tout change.
On découvre, on se découvre, le parcours est croisé par des idées qui reflètent une époque, des endroits, des gens, des pensées, la route est aussi un film.
Mais de quoi parler ? De la longue traversée acide, brutale et libertaire que représenterait Easy Rider (Dennis Hopper), de la voie inébranlable expliquée par le magnifique Into the Wild (Sean Penn) ou des quelques morceaux de pellicules arrachées à «La vingt cinquième heure» de Spike Lee et ses dernières minutes de vie, puissantes comme un souffle divin.
Partons avec Red Stovell, figure brisée de gloires inexploitées, interprétée et mise en scène par Clint Eastwood dans «Honkytonk Man».
Sur la route de Nashville, on suit son histoire, à travers l’Amérique de l’après-dépression, traversée comme un désert de destins brisés.
Escapade poignante et mélancolique, l’histoire de ce chanteur de Country touchant du bout des doigts son rêve, mais rattrapé par la fatalité de sa condition. Accompagné d’une galerie de personnages placés comme des étapes, des bouts de vie aperçues dans une grande tornade de désespoirs fuyants.

Jusque là, des films américains, certes, mais la route n’est-elle pas une affaire américaine ? De part son histoire si l’on prend les choses par l’essence même de son vécue, depuis ses premiers pionniers, et l’ivresse de la découverte, d’un nouveau monde, l’Amérique est une route, ce pays Monde est une traversée, terre de rêves ressuscités et de vies constamment sur le fil du changement.
Le pays des nouveaux départs et de la découverte perpétuelle nourrie donc son cinéma de cette matière insondable qu’est cette idée de route, tout comme elle-même, une idée.
L’Amérique « est sortie de cette route », les réalisateurs américains l’ont bien compris, leur cinéma en est imprégné.
Des cinéastes comme David Lynch, sa route filmée comme un obscur désir passant d’un esthétisme sensuel à un brutal étourdissement.
«Sailor et Lula», qui se résumerait parfaitement en quelques mots, ceux de son metteur en scène, « (…) une histoire d’amour qui passe par une étrange autoroute dans un monde moderne et tordu. ».
«Lost Highway», ou le sombre malaise d’une plongée dans une folie sans fin, qui longe ce film comme un regard démoniaque emportant avec lui l’équilibre fragile d’un départ incertain.
Ce film est une nuit, une nuit sans fin, dépourvue d’aube, survolée par de songes obscurs.
Moins Lynchien, «Une histoire vraie» voit sa route uniquement comme un accessoire utile à son personnage à retrouver son frère, malade, perdu de vue suite à un long silence et d’une mésentente oubliée.
Mais elle est présente, comme objet certes, mais au service de cette histoire sobre et touchante.
L’éblouissant et envoûtant «Mulholland Drive», représenterait presque l’aboutissement de son art qui ne pouvait finir qu’en offrant plusieurs directions à cette œuvre, comme une décision involontaire mettant le spectateur face un choix impossible.
L’esthétisme parfait apporte une beauté irréelle au film, le désir sublime attire comme une irrémédiable envie d’en approcher sans pouvoir comprendre.
Beaucoup d’aspects différents, un sens donné qui diffère autant que les hommes eux-mêmes, la route ne s’arrête jamais, elle est un tout.
Elle avait probablement un début, et peut-être que Sergio Léone en a traité avec son chef d’œuvre, l’un des plus grands western de tout les temps : «Il était une fois dans l’ouest».
Le début et la fin, c’est toute l’Amérique racontée dans cette danse mortelle et sublime, qui comme l’a expliqué Léone : « (…) devait rappeler le dernier souffle que tout être laisse échapper avant de mourir… ».
La lente agonie d’un monde en proie à la modernité, regardant partir ce qui reste de lui, pour laisser la place à la brutale froideur de « l’avenir ».
Les protagonistes restent au bord de cette route regardant au loin avec une nostalgie amère, l’infatigable avancée moderne crachant sur eux les derniers restes de poussière de leur vie d’homme choisissant une liberté impalpable mais présente au fond de leur regard.
Léone dira de ses hommes qu’ils étaient « une race ancienne ».
Plus violent que la mort octroyée à chacun, ce futur ne se contrôle plus et broie les restes de ces hommes insoumis de leur propre condition.
Quelques films ont été cités, pas tous, impossible, quelques descriptions ont été faites ça et là, on pourrait se dire que c’est exhaustif.
On pourrait dire que quelques évocations ne suffisent pas à parler de la route.
Mais la route n’est-elle pas elle-même une simple évocation, une invisible pensée récupérée et construite autant de fois qu’elle est citée, mystérieuse et intraduisible, elle se voit rallier à de nombreuses formes.
La plus infime parcelle d’elle-même nourrie autant de fois qu’il est d’histoires racontées, qu’elles soient filmées, écrites, chantées, ou tout simplement vécues.
Elle est perceptible d’un simple regard à la construction élaborée d’un désir de création.
Elle est là, devant nous, aussi proche et aussi éloignée que l’est la profondeur de l’âme.

Nicolas Bodou

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