La clameur des arènes dérangeante de Salia Sanou
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Parce qu’en sortant de cette création chorégraphique, le malaise et la lassitude se disputent notre esprit, on revient sur les propos de Salia Sanou présentés dans la feuille de salle : » Avec la proposition artistique que représente « Clameur des arènes », j’inscris une volonté de réflexion sur ce que représente le corps noir, qui va de son exploitation, voire sa disparition( l’esclavage), à sa surexposition. »
Partant du rituel de lutte africain et l’ouvrant plus largement à la lutte en général ( corrida, combats de coqs etc…), Salia Sanou a pour ambition de rappeller la dimension animale de l’homme et affirme vouloir insister sur le » poids symbolique d’un combat », dans la défaite autant que dans la victoire. Il y ajoute une dimension ethnique en réflechissant sur les représentations que nous avons du corps noir. En théorie, le projet est intéressant et nous étions prêts à découvrir cette » clameur des arènes ». Sur le plateau, nous accueillent cinq lutteurs, trois danseurs et quatre musiciens….mais l’on déchante très vite.
Pour accompagner ce travail, Emmanuel Djob propose d’abord une partition musicale qui puise dans des registres si variés que le spectateur est vite déstabilisé ; l’adéquation entre ce qu’il voit et ce qu’il entend n’a rien de pertinent. L’auteur-compositeur-interprète étonne d’ailleurs par sa « sur-présence » vocale récurrente sur le plateau… Très vite, l’on est gêné aussi par le manque de synchronisation des » danseurs » et leurs approximations. Aussi, puisque la qualité de danse est peu satisfaisante, l’on se contente rapidement d’admirer les superbes corps sculptés dans l’ébène, dont la beauté est relevée par la couleur rouge qui domine le décor et les accessoires. Et déjà, en soit, c’est un peu dérangeant d’obliger le spectateur à se cantonner à du voyeurisme. Est-ce voulu par le chorégraphe? Est-ce une façon de prouver que le corps noir est aujourd’hui hypersexualisé? Soit. Davantage de subtilité n’aurait pas nui mais le message fonctionne.
Voir des hommes s’interpeller, se tourner autour, se métamorphoser en animaux (roucouler de la tête comme des dindons, gratter le sol comme un taureau…), et entrer dans l’arène tandis que les autres sont en position d’alerte est cependant vite lassant ( surtout quand l’on espérait voir de la danse et pas du folklore), ridicule ( car incarné avec des gestes où l’esthétique fait souvent défaut) et dégradant. Avilir des corps pour en montrer les abus est une démarche qui peut être justifiée si elle outrepasse et magnifie ensuite ce statu quo douloureux. Or ici, l’on en reste au stade de la description et de symboles peu lisibles. On peut , par exemple, voir les interprêtes se mettre la tête dans les coussins qui forment le mur d’arrière-plan de la scène : sait-on pourquoi? que veut-on nous dire? Les seules minutes » heureuses » consistent en des ensembles dansés où l’on retrouve quelques éléments de danse africaine et des mouvements tribaux. Aussi, une question se pose : à vouloir trop donner du sens, ne perd-on pas le sens de ce qu’on fait…? A méditer!
Clameur des arènes
De Salia Sanou
Création sonore: Hughes Germain
Scénographie: Mathieu Lorry Dupuy
Lumiere: Eric Wurtz
Musique créée et interprétée en direct par Emmanuel Djob
Avec Ousséni Dabaré, Jérôme Kaboré, Ousséni Sako, Adama Badji, Ababacar Diallo, Cheikh Ahmed, Tidiane Diallo, Bouyagui Diouf, Babacar Niang, Bénilde Foko, Emmanuel Djob, Elvis Megné, Séga Seck.
Crédit-photo: Marc Coudrais
Le site de la compagnie : http://www.saliasanou.net/mouvements-perpetuels/actualite
Dates des représentations:
– Les 1,2 et 3 juillet 2014 au Festival Montpellier Danse ( Création)
– Le 7 oct 2014 – Martigues – Les Salins
– Du 14 au 18 oct 2014 – Paris – Le Tarmac
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