Les Liaisons dangereuses : partition spirituelle sans jouissance
Par Florence Yérémian – On ne se lasse pas des Liaisons Dangereuses. Qu’il s’agisse de la version cinématographique de Stephen Frears, de l’adaptation de Christopher Hampton ou de la mise en scène de John Malkovich, il semblerait que le public soit définitivement épris de ce roman épistolaire. Il faut dire que les figures de Valmont et de Mme de Merteuil sont irrésistibles d’orgueil et de cruelle intelligence…
Pour ce printemps 2016, Christine Letailleur a donc composé sa propre version des Liaisons en misant sur des amants de choix : c’est à Vincent Perez que revient le rôle licencieux du Vicomte de Valmont : l’oeil grivois, la bouche fleurie et le mollet martial paré de bas blancs, il papillone sur toute la scène en quête d’amour et de plaisirs charnels. Usant de poses aussi ludiques que lubriques, le comédien joue allègrement les vicomtes et confère à son galant un maniérisme qui frôle parfois le burlesque. Ce caractère loufoque est assez inattendu pour un personnage devenu si « classique » mais grâce à la décontraction de Vincent Perez, il parvient à charmer les prudes tout en séduisant les spectateurs les moins puristes…
Face à cet ardent libertin se distingue la despotique Mme de Merteuil. Incarnée avec majesté par Dominique Blanc, cette sournoise protagoniste décline les robes autant que les visages afin de tromper ses soupirants et de mener son monde. La gorge déployée et le sourire hautain, notre intrigante marquise est fort bien interprétée ; il faut cependant avouer que malgré l’allure et les réparties de Dominique Blanc, cette nouvelle Merteuil manque de superbe. Bien qu’elle soit aussi spirituelle que machiavélique, l’actrice semble trop s’amuser dans sa composition et elle adopte parfois des intonations de harengère qui ne conviennent pas à la préciosité de sa veuve. Lorsqu’elle déclame la cinglante tirade de Merteuil « Il faut vaincre ou périr !» , cette devise ne possède absolument plus l’impact et la profondeur du texte original. A l’exemple de toute la mise en scène de Christine Letailleur, cette sentence oscille étrangement entre une pointe d’humour et de tragique. Voilà certainement pourquoi cette nouvelle adaptation des Liaisons Dangereuses laisse la majorité du public désemparé: Faut-il rire des grimaces divertissantes de Valmont ? Faut-il se plier aux niaiseries du Chevalier Danceny (Manuel Garcie-Kilian) qui ne cesse de geindre après sa Cécile ? Et que penser de l’énergique prestation de Fanny Blondeau qui nous livre justement une Cécile de Volanges à la limite de l’hystérie ?
L’idéal est certainement d’oublier les précédentes versions de cette oeuvre et de se laisser dévergonder par ce vent fou et frivole auquel se prête bien volontiers l’ensemble des comédiens. L’amour, après tout n’est qu’un jeu, et ce n’est point Choderlos de Laclos qui prétendra le contraire. Certes Christine Letailleur a désacralisé les personnages du roman en leur insufflant une dimension comique, certes elle a transformé cette pièce en Vaudeville en lui ôtant sa noirceur et sa volupté, elle a cependant mis en exergue le texte du XVIIIe siècle qui illumine cette longue partition de bout en bout. En écoutant les joutes verbales de Merteuil et Valmont, l’on est donc une nouvelle fois séduit par cette langue sublime et vénéneuse portée par un duo d’acteurs qui savourent de toute évidence une très grande complicité scénique.
Les Liaisons dangereuses
de Choderlos de Laclos
Adaptation et mise en scène : Christine Letailleur
Avec Dominique Blanc, Vincent Perez, Fanny Blondeau, Stéphane Cosserat, Julie Duchaussoy, Manuel Garcie-Kilian, Guy Prévost, Karen Rencurel, Richard Sammut, Véronique Willemaers
Durée: 2h45
Du 2 au 18 mars
Théâtre de la ville – 2, place du Châtelet – Paris Ive
Réservation: 0142742277
www.theatredelaville-paris.com
Du 23 au 25 mars
Théâtre National de Nice
www.tnn.fr
Du 29 au 31mars
Théâtre de Cornouaille à Quimper
www.theatre-cornouaille.fr
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