Le Prince Travesti selon Mesguich : un sombre reflet du marivaudage
Par Florence Yérémian – Hortense et sa maitresse chérissent le même homme: l’une est suivante, l’autre princesse, quant au prétendant, il porte le titre de Prince mais voyage incognito sous le doux nom de Lélio… A cette cour des mensonges déambulent également un ministre rongé par l’ambition, un valet sot et corruptible, une catin monnayant ses services et un ambassadeur du roi de Castille en quête de souveraine idéale…
Telles des marionnettes articulées par des passions humaines, ces personnages de Marivaux vont et viennent dans un univers gangréné où l’argent et la soif de pouvoir pervertissent les esprits. Afin de mettre en scène ce théâtre du monde qui prend place au siècle des Lumières, Daniel Mesguich a symboliquement opté pour un décor sombre constellé de miroirs où apparaissent d’étranges anamorphoses. Dans cette funeste galerie des glaces se déployant sur toute la scène, les acteurs ne cessent de se refléter et laissent entrevoir, bien malgré eux, les visages distordus de leurs émotions véritables.
Parmi les interprètes de cette partition sociale et amoureuse figure l’excellente Sarah Mesguich qui incarne avec éminence le rôle de la Princesse : maitresse de ses sens autant que de sa cour, l’actrice est aussi cruelle que possessive et fait ployer sous ses caprices l’ensemble du public et de sa suite. Il en va tout autrement de Sterenn Guirriec qui nous livre une Hortense aussi larmoyante que ridicule. Geignant du début à la fin de la pièce, la jeune comédienne frise la parodie en transformant Hortense en une pseudo-tragédienne à la gestuelle exacerbée. Face à son emphase caricaturale, le pauvre Prince Lélio (Fabrice Lotou) semble à son tour désemparé et ne parvient pas à s’affirmer. Cela vaut également pour le valet Arlequin (Alexandre Levasseur) qui s’enlise dans un humour répétitif manquant aussi bien de nuances que de subtilités. Reste enfin l’insidieux Frédéric auquel William Mesguich confère un visage à l’oeil fourbe et une succulente langue de serpent: se mouvant comme un souffreteux dans son superbe costume reptilien, William complote à foison pour hisser Frédéric vers ses rêves de gloire et de domination.
Bien que confuse, l’intrigue du Prince Travesti est interessante et le dénouement heureux. Ne cherchez cependant aucune trace de badinerie ou de marivaudage dans cette adaptation car Daniel Mesguich a fait le choix d’une mise en scène excessivement ténébreuse : qu’il s’agisse du décor, de l’éclairage ou des élans tragiques de la musique, il insuffle à cette oeuvre une si grande dramaturgie qu’elle finit par peser sur l’ensemble de la salle. Certes, il est question de mensonges, d’imposture politique et de corruption mais le texte de Marivaux n’est pas si abyssal. Il décline avec réalisme la thématique du pouvoir absolu et de la manipulation des puissants, mais il met aussi en avant l’amour triomphant à travers une langue cousue d’arabesques.
On regrette donc ce parti-pris funeste qui pose une chape sépulcrale sur la pièce. C’est fort dommage car la scénographie comporte aussi des moments de grâce à l’exemple de ce caisson final de marionnettes shakespeariennes ou de ces diagonales oniriques majestueusement arpentées par les amants…
Le Prince Travesti
Avec Sarah Mesguich, Rebecca Stella, Sterenn Guirriec, Alexis Consolato, William Mesguich, Fabrice Lotou et Alexandre Levasseur
Costumes: Dominique Louis
Théâtre de l’Epée de Bois – La Cartoucherie
Route du Champ de Manoeuvre – Paris 12e
Jusqu’au dimanche 10 avril 2016
Du mercredi au samedi à 20h30
Le samedi et le dimanche à 16h
Réservations: 0148083974
www.epeedebois.com
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