Patrick Modiano : La Boîte à Magie

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Retrouver Modiano comme l’on croise quelqu’un de cher à notre coeur, pas rencontré récemment mais jamais perdu de vue : l’assurance d’un moment de béatitude tranquille.
« On avait l’impression que cet endroit n’avait pas changé depuis les années trente, comme une chambre murée depuis longtemps, que l’on découvre en abattant une cloison dans un appartement avec ses meubles d’autrefois, son lit défait où subsiste encore la trace d’une tête sur l’oreiller, et un journal du soir traînant sur la table de nuit ».
Un essai paru récemment aux Presses Universitaires de Rennes titre « Il n’est pas question d’explication ». Cela peut s’appliquer à l’œuvre de Modiano, dont des légions de gloseurs ont tenté d’élucider savamment les mécanismes d’une simplicité désarmante.
Revoici ses déambulations dans Paris, les regards qui se croisent, les impressions de déjà vu qui affleurent puis s’entêtent, jusqu’à vous tarauder durablement, les souvenirs sortis du chapeau de quelque illusionniste, les boulevards arpentés voici longtemps, les fenêtres éclairées d’appartements autrefois familiers. Puis les personnages qui ont compté, parfois à leur insu, et d’autres, inquiétants, aux activités peu claires, tel cet André Barise, un type à l’odeur de marécage. Ceux qui importent cette fois : le petit Pierre, un enfant dont le narrateur s’occupe à temps perdu, lorsque sa mère ne rentre pas. On l’appelle la danseuse. Elle est l’élève de Boris Kniasseff, un Russe, et répète Le Train des Roses, avec son partenaire Georges Starass. Aussi Hovine et son manteau habituel en tissu à chevrons, ami de longue date de la danseuse et sorte de précepteur. On retrouve une atmosphère qui rappelle l’univers de Sempé, dont Modiano fut le partenaire pour « Catherine Certitude (1988). Bien que le tilleul de la mémoire commence à jaunir, on a le temps d’y reconnaître la charmante Marpessa Dawn et Jean-Pierre Bonnefous. Le narrateur décroche une sinécure : correcteur en français de manuscrits écrits en anglais, pour Maurice Girodias, éditeur qui publiera en première mondiale la Lolita de Nabokov.
Pour qui a accoutumé d’arpenter cet univers où « Il ne faut jamais compter sur personne pour répondre à vos questions » (Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 2014), le passage à la période immédiate peut provoquer un choc. L’apparition de Serge Verzini, par exemple. Autrefois gérant, rue Saint-Séverin, d’un établissement de nuit appartenant à Girodias, où l’on proposait des dîners-spectacles animés par Olaf Barrou, « une sorte de boute-en-train assez inquiétant ». Verzini donne son 06 au narrateur. On dirait presque un anachronisme. Plutôt le signe annonciateur d’un moment charnière dans le cycle romanesque de Patrick M.?
Pas de quoi s’inquiéter. Il demeure cette écriture si légère que son encre touche à peine le papier, ces moments anodins de prime abord, car on ignore qu’ils resteront gravés dans la mémoire. Simplement, ils sommeillent dans les coulisses d’une ardoise magique.

 

« La danseuse », Patrick Modiano, Gallimard, 16 €

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