Enthoven ou Neuhoff ?

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L’un toise son temps avec superbe, y convoquant des figurants prestigieux. L’autre fait un brin de conduite aux bergères légères. A gauche caviar, notre nouveau La Bruyère ; à droite champagne, les saute-moutons de Monsieur de la Malice.

Enthoven invite à goûter, au gré de ses humeurs, « un miel né de fleurs diverses » qui vont de la violette au chardon. Manière de dédale égotiste, son nouvel opus est dense et inspiré. Il évolue parmi les Lumières avec une aisance consommée, mais sa gourmandise ne s’arrête pas là. Enthoven ricoche et décoche. Il n’aime pas Bernard Franck et tient à ce qu’on le sache. Les jalousies recuites donnent rarement le change. Tailler des croupières aux contemporains immédiats appelle plus de prudence. Alors on suggère, on floute, on se fait Sioux, surtout si l’on prête le flanc au sarcasme en se fendant d’une épigraphe aléatoire.

Le coauteur d’un « Dictionnaire amoureux de Marcel Proust » évoque généreusement le petit prince de Cabourg, mais ses dilections ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Aragon, Kundera, Casanova, Charles-Joseph de Ligne, Truffaut sont remarquables et fréquentables. Surtout, Enthoven Aîné aime à citer d’abondance. Moins stakhanoviste que Lucchini, mais plus sélectif, il détient un arsenal appelé à faire mouche dans ces grands dîners français où l’on rencontre, au détour d’un badinage fructueux, des hédonistes aimablement déjantées.
Commun aux deux livres, Truffaut y est abordé différemment. A l’évocation romantique d’Enthoven succède l’approche nuancée de Neuhoff, ponctuée par un juste et sobre « Il n’a pas été remplacé ».

Le récent lauréat du grand prix de littérature Paul Morand campe superbement sur la rive droite du fleuve d’encre, aux côtés de hussards, francs-tireurs et symphonistes de la légèreté. Blondin, Déon, Sagan, d’Ormesson, Tillinac sont flanqués d’Hemingway et de Fitzgerald. Rohmer et Eustache, certes, mais aussi Sharon Stone et Richard Burton. Mais encore Jean-Claude Fasquelle ou ce fils d’un ancien flirt de Régine Deforges, éditeur tôt disparu qui « savait que la vie est trop courte pour lire Annie Ernaux ». Toujours, le champagne est attendu au tournant, sabré par les petits maîtres du dérisoire. Les temps changent, « aujourd’hui, l’édition carbure à l’eau gazeuse », pas étonnant en ce monde qui remplace un cinéma d’art et d’essai par une salle pour Témoins de Jéhovah. Il ne manquerait plus que B-H L décide de porter des chemises pelle à tarte.

 

« Lignes de vie », Jean-Paul Enthoven, Grasset. 29,90 €
« Cocktail de saison », Eric Neuhoff, Rocher. 18,90 €

 

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