Joë Bousquet, centaure flamboyant

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Dans un fulgurant exercice d’admiration et de proximité, Jacques Henric rend hommage aux « hommes qui tombent » et transcendent la nuit dont ils sont devenus les otages.
Mai 1918, front de l’Aisne. Face au bataillon français, le jeune officier Max Ernst commande une compagnie allemande dont une balle fauche un fantassin de 20 ans. Le futur poète Joë Bousquet vient de perdre à jamais l’usage de ses jambes, de son sexe.

Rendu impuissant, il sera doué d’une puissance autre, fantasmatique, paradoxale, célébrée par une noria de jeunes créatures.
Octobre 2018, en route pour un lieu où vécut Bousquet, Jacques Henric « voit » son œil droit exploser. On sait depuis Prévert que le hasard frappe rarement par hasard, et c’est un poète qui le dit. Pense-t-il au petit Jacques Lusseyran, privé de vue à presque 8 ans, qui deviendra une admirable figure de la résistance, avant d’écrire « Et la lumière fut » ?
Henric conte la geste des pinsons aveugles. Il dit la nuit hallucinée de Bousquet, son Chemin des Dames de grande Vertu, parsemé de petits cailloux blancs comme neige, le culte de sainte Ginette sauvageonne, la fréquentation fébrile de l’inatteignable. Loin de Bousquet, Lusseyran assure que les voix surpassent les mains et les yeux, dans l’ordre des attouchements licites et illicites. Puis les grands détroussés de la plénitude poussent Henric à une chevauchée à cru dans la rédemption de ses propres enfers, de Monique S., initiatrice mémorable qui n’avait pas le don total de Gabrielle Russier, à Catherine M., femme aimée à corps perdu, au petit catéchisme édifiant : « il est vrai qu’on ne s’engage pas sur la voie de la béatitude sans avoir été mis à l’épreuve et avoir surmonté quelque tentation ».

Le soufre courtise l’huile d’amande douce, dans une belle ouvrage traversée de déflagrations inouïes et flagellée par des aveux sans merci. Le talent de rendre un délicat hommage à cette nostalgie que Poe élevait au plus légitime de tous les tons poétiques.

« La nuit folle », Jacques Henric, Seuil « Fiction & Cie », 229 pages, 19 €

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