L’État fait appel aux maires pour organiser le grand débat national
Tribune de Bruno Pomart
Ancien policier du Raid, Bruno Pomart est le Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude. Il est également le président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation (www.raid-aventure.org ).
Depuis l’élection du Président Macron, le phénomène de démission des maires en cours de mandat ne fait que s’accentuer. De 14% en 2016, il est passé à 21% en 2017, effet du non-cumul des mandats pris en compte, et l’exaspération croissante des élus locaux face à un pouvoir central qui leur demande toujours plus en leur donnant toujours moins est loin de l’endiguer.
Étant moi-même maire de la petite commune de Belflou dans l’Aude, je subis au plus près, sur le terrain, la progression des injustices faites aux collectivités locales : suppression des emplois aidés, suppression de la taxe d’habitation, baisse voire annulation des dotations de l’État, regroupements de communes qui donnent lieu à des situations ubuesques lors des conseils municipaux… Rien n’est fait pour leur faciliter la vie.
Pourtant aujourd’hui, face à la crise des gilets jaunes, c’est vers eux que l’État se tourne pour organiser le grand débat national, se souvenant tout à coup, après 30 ans de fracture sociétale et d’abandon des territoires, en particulier ruraux, que le maillage local et la discussion directe avec les citoyens sont primordiaux dans une démocratie saine. Mais combien de temps s’en souviendra-t-il ?
« Face à la crise des gilets jaunes, c’est vers les maires que l’État se tourne pour organiser le grand débat national, se souvenant tout à coup, après 30 ans de fracture sociétale et d’abandon des territoires »
Les maires sont et demeureront toujours les principaux interlocuteurs des citoyens, car ils leur sont connus et accessibles. Toutefois, du fait de politiques nationales trop peu souvent reliées aux réalités locales, et afin d’exprimer une frustration grandissante à l’égard des décideurs politiques, ces citoyens sont de plus en plus exigeants avec leurs élus directs : comme si, pour compenser l’éloignement de l’État, le maire se devait d’avoir des réponses et des résultats immédiats sur tous les sujets du quotidien.
Ainsi, pressés par l’État d’un côté, et par leurs administrés de l’autre, les maires se retrouvent fréquemment à la limite du burn-out. Sans compter que le dédommagement qui leur est versé, en particulier dans les plus petites communes, est loin de compenser l’investissement que requiert la fonction et la perte de revenus qu’elle engendre en éloignant l’élu de sa vie professionnelle « séculière ». En outre, une fois leur mandat achevé, nombreux sont ceux qui éprouvent des difficultés à retourner à la vie active ou à retrouver leur situation d’avant-mandat.
« Ainsi, pressés par l’État d’un côté, et par leurs administrés de l’autre, les maires se retrouvent fréquemment à la limite du burn-out »
Alors qu’aujourd’hui, l’équilibre des territoires est au cœur de la mobilisation sociale, les communes rurales demeurent les plus touchées par ce phénomène, et je sais de quoi je parle : élu rural, c’est mon expérience depuis bientôt 3 ans. Or je ne peux que constater à quel point ma propre marge de manœuvre est restreinte. L’État se couvre de plus en plus pour éviter des problèmes et des responsabilités forcément coûteux, se cache derrière l’Europe, bloque sans cesse les initiatives. Toujours plus nombreuses, les normes urbanistiques et environnementales produisent toujours plus d’interdits, bien souvent au mépris du bon sens et de la vie locale.
« L’État se couvre de plus en plus pour éviter des problèmes et des responsabilités forcément coûteux, se cache derrière l’Europe, bloque sans cesse les initiatives. »
Le grand débat national doit porter sur quatre grands thèmes que sont la transition écologique, la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’État et des services publics.
Mais dans le même temps, pour ne donner qu’un exemple, la loi Natura 2000, soi-disant écologique, va complètement dans le sens de la volonté européenne qui prône le soutien aux grandes exploitations, et détruit peu à peu l’agriculture traditionnelle, ceci malgré la demande croissante de traçabilité, de produits sains et locaux, de bien-être animal, et la méfiance envers l’alimentation mondialisée manifestée par les consommateurs. Ce n’est pas cela, l’écologie. L’écologie, c’est un modèle économique à taille humaine, réfléchi par l’humain, pour l’humain, dans un vrai souci humaniste (promotion des particularités culturelles, promotion des logiques à long terme, etc.).
Cette vision-là de notre société pourra-t-elle faire son chemin jusqu’aux oreilles des gens de pouvoir au cours de ce débat où « tout le monde pourra donner son avis », ceci alors même qu’Emmanuel Macron promettait déjà dans son discours du 10 décembre de ne pas changer de cap général ?
La politique est constamment dans le court terme de la prochaine échéance électorale, forcément les zones rurales en pâtissent, elles qui ont le plus besoin d’une vision d’avenir. Et toute l’énergie dépensée pour remporter une campagne n’est récompensée, à l’échelle locale, par aucune latitude, aucun espace d’action autre qu’essayer de maintenir, à défaut de l’améliorer, le bilan du précédent mandat. Toute cette énergie consacrée à conquérir un pouvoir factice, sera-t-elle enfin utilisée à de meilleures fins au cours et à l’issue du grand débat qui s’annonce ? La fonction d’élu local obtiendra-t-elle la reconnaissance qu’elle mérite les moyens d’être remplie correctement par ceux qui l’entreprennent ?
« La politique est constamment dans le court terme de la prochaine échéance électorale, forcément les zones rurales en pâtissent, elles qui ont le plus besoin d’une vision d’avenir. »
Un roulement des conseils municipaux successifs qui n’entraîne aucun changement visible dans l’orientation de la commune ne favorise pas la conscience citoyenne des Français. Et cela se comprend : à quoi bon s’investir pour l’un ou pour l’autre ? Tout le monde sert la même sauce, faute de moyens pour faire autrement…
Et ce ne sont pas les regroupements de communes, ou « communes nouvelles », qui vont arranger les choses : actuellement, les conseillers municipaux issus de toutes les communes « anciennes » fusionnées, siègent au nouveau conseil municipal. Cela donne des réunions à 40, 50, voire 70 personnes et plus ! Et quand tout ce petit monde n’est pas du même bord politique, imaginez l’embrouillamini !
Alors qu’elles sont censées mutualiser les moyens financiers, techniques et humains, de nombreuses communes nouvelles se retrouvent avec des équipements en double, ont du mal à gérer l’intercommunalité du fait de contraintes mal anticipées, ou doivent faire appel à du personnel extérieur pour organiser des tâches que l’État a supprimé de leurs attributions. Vivent les économies !
La France est le pays d’Europe qui possède le plus grand nombre de communes, c’est un fait indéniable, et cela ne pouvait plus durer ainsi, la réforme du territoire était nécessaire. Mais avec quel accompagnement pour les maires et les communes ? Quelle concertation entre l’État et les collectivités locales ? Depuis que les dotations de l’État aux communes de moins de 2000 habitants ont été supprimées, les plus petites d’entre elles se sont retrouvé obligées de trouver une solution dans l’urgence, et rien dans le dispositif de l’État ne soutient cette mutation, pourtant loin d’être anodine.
Depuis mai 2017, le gouvernement impose, et tous les échelons inférieurs disposent… comme ils le peuvent, et parfois même s’ils ne le peuvent pas. Ainsi, rien d’étonnant à ce qu’au cours de mouvement des gilets jaunes, nombreux aient été les maires de communes rurales à avoir affiché leur soutien et à ne pas avoir attendu le « kit » de l’État pour ouvrir leurs mairies au débat citoyen, et permettre à la colère de s’exprimer ouvertement. En effet, les revendications des manifestants trouvent plus qu’un écho dans leurs propres demandes, qu’ils adressent depuis des mois, voire des années à l’État, en matière d’égalité face aux services publics, de moyens alloués au développement économique et social, etc.
Que l’État fasse de nous ses relais, même si cela arrive tard et sous la contrainte, c’est à la fois une grande opportunité de mettre en lumière ce qui n’est finalement que notre mission première – outre l’administration des affaires courantes – à savoir faire remonter les doléances des citoyens de nos communes aux préfets et aux parlementaires, après un débat public totalement indépendant. Mais ce pourrait être également une trahison de plus si ce même État nous « oubliait » à nouveau à l’issue de ces trois mois.
Il serait grand temps que le bon sens et la communication reprennent le dessus et que l’État cesse de mener ses réformes, avec un brin de condescendance, « contre » ceux qu’elles visent, mais plutôt « avec » eux. L’intelligence et la volonté de faire évoluer les instances républicaines ne sont pas l’apanage du pouvoir central, il serait bon qu’il s’en souvienne, et qu’il se souvienne aussi que c’est par l’implication et avec l’approbation des populations qu’une réforme peut aboutir de façon positive.
Bruno Pomart
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »