« Paradoxal » : Quand le théâtre s’essaye au thriller et propose une expérience bluffante !

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Peut-on vraiment différencier le rêve de la réalité ? C’est la grande question que pose la pièce de théâtre « Paradoxal ». Véritable thriller scientifique, le spectateur passe du rêve à la réalité mais aussi du rire à la peur, en un claquement de doigts. Réveil brutal, coup de maitre magistral.

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La salle est plongée dans le noir le plus complet. Et pendant 1h30, il en sera presque toujours ainsi. Quand Marien Tillet entre en scène, il est seulement éclairé par une lampe de bureau. En costume, seul au centre de l’estrade, il balance des choses absurdes, difficiles à imaginer. Et à comprendre. Il dit être une femme, il parle de savane, de courses folles, de bêtes sauvages et puis de Lionne portant des talons aiguilles rouges. La salle est déboussolée et elle le transmet par quelques éclats de rires médusés. Mais aussi par un épais silence dû à une concentration palpable : les spectateurs s’accrochent aux mots en essayent de donner un sens aux faits. Puis, soudainement, le public sursaute. Marien Tillet frappe du poing sur le bureau. Une fois puis deux. Il lance : « Maryline se réveille en sursaut, il est 3 heures du matin. La voisine du dessus vient de rentrer et comme à son habitude, elle fait claquer les talons de ses escarpins ». La salle rigole, soulagée d’avoir enfin une explication plausible : ce n’était qu’un rêve.

Un rêve récurrent fait donc par Maryline, une jeune journaliste qui souffre d’insomnie légère. Alors, par intérêt personnel, mais aussi pour un reportage, elle intègre un programme médical de recherche qui étudie les « rêveurs lucides ». Ceux qui ont conscience de rêver. Ceux qui peuvent, pour les plus avancés, agir sur leurs rêves. Au début, tout semble normal, clair et concret : un chercheur respecté, un groupe de rêveurs lucides à des stades différents, un cadre très professionnel… Mais, peu à peu, l’expérience dérape. Une nuit, dans les locaux du chercheur, la journaliste tombe sur des chats de laboratoire et sur d’étranges notes du professionnel.  Maryline tire sur son doigt pour voir si elle est en train de rêver. Elle ne sait plus. Elle ne sait plus dissocier le rêve de la réalité, le vrai du faux. Le spectateur non plus. Le doute se propage dans sa tête. Dans sa tête et dans celle du public.

Un triller scientifique qui repose sur des faits réels, qui sème le doute…

Le public est à nouveau plongé dans un récit fou qui repose pourtant sur des faits probables et rationnels, tenant parfaitement la route. Tout l’art du thriller scientifique ! Comme l’explique l’auteur de la pièce et l’interprète, Marien Tillet : « Le thriller scientifique est une fiction qui s’appuie sur des conventions scientifiques réelles. C’est la science qui est le socle de départ, l’architecture du thriller ».  Il ajoute : « En gros, on atteint cette drôle de pensée paradoxale : c’est normal mais c’est bizarre ». Résultat : le spectateur est totalement perdu, à la merci des événements. Il cherche une explication logique mais ne la trouve pas… alors il se met à douter. De la journaliste. Du chercheur. Du bienfondé de l’expérience. Des rêves. De la réalité. De tout. Et même de lui. Il en vient même à douter de la réalité de ce spectacle. Il aurait tendance à avoir envie, lui aussi, de tirer sur son doigt. Dans l’obscurité, peut être que certains l’ont fait…

« Ce qui est fascinant, dans la frontière entre le rêve et la réalité, c’est que nous ne pouvons être sûr de rien. Ce genre de doute est totalement impossible à dissiper » explique Marien Tillet. Pourquoi ? Parce que, parfois, les rêves semblent hyper réels et cohérents mais surtout parce que rien n’est plus subjectif que la réalité. Ce qui permet à l’être humain d’affirmer une chose ou une autre passe toujours par l’acquiescement de son esprit. Par ce prisme et par cette perception personnelle. Des événements, des autres et du monde. Par exemple, une émotion n’est pas matérielle, elle ne laisse aucune preuve de son existence derrière elle mais cette émotion, pourtant, on la ressent réellement. Alors comment pourrait-on affirmer qu’elle n’existe pas ? Et n’est-elle pas différente d’une personne à une autre ?

… et récolte la peur, voire la frayeur

« La réalité est subjective et les rêves, eux, sont réels tant qu’ils durent. Peut-on en dire autant de la vie ? » interroge le comédien sur scène. Le doute ne fait alors que grossir. Tous les scénarios, même les plus dingues, deviennent alors plausibles. Peu importe la trame du scénario, d’ailleurs, tant que le spectateur finit par trouver la réponse et par résoudre l’énigme. Pour se sentir enfin mieux. Rassuré. Sain d’esprit. Ce qui n’arrive pas, bien au contraire. Le doute ne cesse de prendre de l’ampleur… au point de créer la peur.

Au fur et à mesure du spectacle, le bureau se déplace, la bouteille d’eau posée sur le bureau se multiplie comme les versions possibles du scénario. Au fur et à mesure du spectacle, Marien Tillet joue plusieurs personnages, de la journaliste au chercheur, du chercheur aux rêveurs lucides, des rêveurs lucides au souvenir de cette petite fille… Marien se transforme, comme l’histoire. Comme cette pièce de théâtre se change en thriller. Digne d’un film. Il se met à jouer avec les bouteilles d’eau, les lumières et les émotions du public. Il se met à sauter sur son bureau, à s’assoir dessus ou à en tomber. Il se met à chanter, à crier ou à courir. Son interprétation est brillante. Il transporte le spectateur. Le dérange. Le fait sursauter. Le manipule.

Puis, la lampe du bureau s’éteint, c’est l’obscurité totale. Une comptine d’enfant se met en route. De drôles de bruits se font entendre de part et d’autre. Puis des enregistrements résonnent dans la pièce, ceux du chercheur et peu à peu le spectateur comprend. Il se prend des flashs verts dans les yeux, Marien gesticule dans tous les sens… et le spectateur a la frayeur de sa vie. De quoi ne pas en croire ses yeux. De quoi croire en la magie et ne plus oser bouger ni parler dans cette salle noire, devenue brutalement silencieuse. De quoi se méfier de tout et de vite partir, avec la peur au ventre que ce spectacle ne soit pas fini et que ce scénario ne soit pas fictif. Du théâtre comme on n’a pas l’habitude d’en voir ! Expérience bluffante !

 

Pièce de théâtre « Paradoxal »
Ecrite et interprétée par Marien Tillet
Produite par Le Cri de l’Armoire
Du 3 au 30 novembre 2018 au théâtre de Belleville
Du mercredi au samedi à 21h15.
Prolongation tout le mois de janvier 2019

Crédit photo : Samuel Poncet

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