La littérature, entre médiatisation et bien-pensance

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Tribune de Sabrina Grimaldi ( fondatrice de Publishroom) – Je n’avais pas prévu d’évoquer ces deux sujets, en apparence distincts (c’est un peu scabreux j’en conviens) mais l’intervention de Vincent Kaufmann (professeur de littérature et d’histoire des médias, à l’université de Saint Gall, en Suisse) ce matin sur France Inter et la lecture d’un article sur slate.fr sur les détecteurs de « faux-pas littéraires » ont soudainement résonné.

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La littérature a souvent été un acte d’irrévérence sociale et politique, aussi bien dans sa forme et l’usage de la langue, que par le traitement des sujets, peu conformes ou voire contraires aux conventions sociales.
Nous avons une tradition de l’écriture de la rupture, depuis Rabelais en passant par Sade et Houellebecq aujourd’hui. Or, notre société contemporaine, fortement marquée par le « politiquement correct », interroge le rapport de l’écriture littéraire au discours social, conformiste ou discordant. Ainsi, les débats enflent régulièrement, lancés ou repris en boucle par des médias férus de polémiques , rappelons-nous celle suscitée par le dernier livre de Michel Houellebecq, Soumission, ou de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, la demande de retrait pour son caractère « raciste » de l’album de Hergé, Tintin au Congo.
Aux États-Unis, les romans sont régulièrement relus et corrigés (à la demande des auteurs eux-mêmes ou des éditeurs) par des « détecteurs de faux-pas littéraires », représentants de « minorités » (raciales, sexuelles, religieuses…) afin d’y ôter tous «préjugés intériorisés et le discours chargé négativement» susceptibles d’émerger lorsque les auteurs créent «hors de leur champ d’expérience.»

La littérature contemporaine, soumise au diktat de la bien-pensance

Alors que la littérature est de plus en plus exposée, que les auteurs courent de plateaux télévisuels en radio, sommés de parler d’eux-mêmes, de se raconter intimement pour créer du lien avec leurs lecteurs, nous vivons dans un monde du langage surveillé, du discours qui ne blesse pas et de la langue de bois. Les écrivains sont aujourd’hui confrontés au paradoxe de se livrer, tout en se gardant d’une écriture trop en rupture (alors que la « disruption » est valorisée dans le monde des start-up). Désormais, la littérature contemporaine, soumise au diktat de la bien-pensance, tend à régresser devant l’hyperconsumérisme (la course aux nouveautés, aux prix littéraires surmédiatisés, au best-seller…) alors qu’elle est concurrencée par la déferlante du «consumérisme esthétique».

Reste à savoir, si notre longue tradition de l’insolence résistera à la doxa anglo-saxonne de la transparence, du politiquement correct, mâtinés d’une hyper-médiatisation qui tend à faire du livre un produit comme un autre.

À lire
Ecouter Vincent Kaufmann sur France Inter
« Les détecteurs de faux-pas littéraires » sur slate.fr
« Faut-il interdire ces auteurs classiques » sur lefigaro.fr

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