« Silence » : le questionnement mystique de Martin Scorsese
De Florence Yeremian – « Silence » se situe dans le Japon du XVIIe siècle en pleine inquisition contre les chrétiens. Face aux colons occidentaux qui ont tenté d’évangéliser leur terre, le gouvernement nippon a décidé d’éradiquer les missionnaires jésuites mais aussi sa propre population récemment convertie au catholicisme.
C’est dans ce climat de torture et de persécution que deux prêtres portugais, Garupe et Rodrigues, débarquent au pays du Soleil Levant pour tenter d’y retrouver Ferreira, leur père spirituel. Le bruit court que ce saint homme a trahi sa foi et ses convictions chrétiennes pour devenir bouddhiste. Sceptiques face à une telle apostasie, les deux jeunes missionnaires vont devoir braver de nombreuses épreuves quitte à renier eux-mêmes leur propre croyance …
A mi-chemin entre le drame historique et le manifeste religieux, ce long-métrage signé Martin Scorsese poursuit la quête mystique que le réalisateur avait entamée avec « La dernière tentation du Christ ». À travers le regard et le ressenti de deux missionnaires, le cinéaste emmène ses spectateurs vers un questionnement sur l’homme et les limites de sa foi. Prenant le public a témoin, il lui montre les dérives d’une religion et celles d’un pouvoir totalitaire qui n’a de cesse de se complaire dans la cruauté.
La mise en scène et l’aspect photographique du film sont magnifiques : Scorsese alterne entre des prises de vue grandioses, de très beaux plans aériens et un esthétisme léché. Qu’il s’agisse de ses paysages de montagne, ses lieux clos ou ses costumes de samouraïs, tout est minutieusement orchestré y compris la souffrance des martyrs ou les scènes de bûcher… Malgré sa puissance visuelle et ses qualités techniques, cette grande fresque cinématographique stagne pourtant dans la contemplation et finit hélas par nous lasser. Aussi répétitive qu’interminable la quête des deux missionnaires jésuites est trop lente, leur questionnement spirituel tourne en rond, quant aux scènes de torture et de crucifixions elles sont si prévisibles qu’elles parviennent à peine à nous émouvoir.
Scorsese a pourtant misé sur de très bons acteurs à commencer par Andrew Garfield (poignant dans « Tu ne tueras point ») qui incarne avec ferveur le frère Rodrigues : pris en étau entre sa foi chrétienne et sa conscience, ce protagoniste ne cesse de douter et de questionner Dieu face à la folie humaine mais il n’obtient en retour que le silence de son Créateur. À côté de cet être tourmenté évolue le missionnaire Garupe interprété avec quiétude par Adam Driver (Star Wars). Plus serein qu’Andrew Garfield, ce comédien (et fils de pasteur !) possède un flegme particulier qui le rend aussi convaincant que charismatique. Vient enfin l’émouvant Liam Neeson qui joue le rôle du mystérieux Père Ferreira. Bien que Liam Neeson illustre à lui seul l’affiche du film, on le voit relativement peu à l’écran, ce qui nous laisse tout de même sur notre faim.
Face ce « casting américain » saluons la prestation très théâtrale d’Issei Ogata qui prête ses traits et son cynisme au terrible Inquisiteur japonais Inoue Sama. On apprécie aussi les apparitions ubuesques et elliptiques du traitre Kichijiro (Yösuke Kubozuka) dont les mensonges et les mimiques apportent les seules notes d’humour de tout le scénario.
En y réfléchissant bien, « Silence » est un autodafé cinématographique où Scorsese condamne subtilement l’intolérance religieuse. L’exercice stylistique est très beau, le message intellectuel d’une actualité évidente mais le sermon du cinéaste est décidément trop psalmodique. Si vous vous sentez prêts pour un voyage spirituel de 2h40 ce film est pour vous, sinon allez tout simplement voir « Dalida » !
Silence
Un film de Martin Scorsese
Avec : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson
2017 – USA – 2h41
Sortie nationale: 8 février 2017
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