Le Secret de la Chambre noire : un film obscur et poétique

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De Florence Yérémian – Stéphane vit seul avec sa fille Marie au sein d’une vieille maison de la banlieue gennevilloise. Ancien photographe de mode, il pratique exclusivement la technique du daguerréotype qui nécessite des temps de poses interminables. Exceptée Marie, aucune personne ne parvient à rester immobile face à son objectif ni même à supporter sa misanthropie.

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Au fil des années, sa fille est donc devenue son unique modèle: aussi sage que soumise, elle s’est laissée enfermer dans cette servitude volontaire en ayant pour seule échappatoire la serre florale de sa défunte mère. Lorsque Jean, un jeune apprenti photographe, est engagé comme l’assistant de Stéphane, un vent d’espoir et de liberté s’empare de Marie. Mais c’est sans compter sur les fantômes du passé qui vont faire ressurgir les secrets de cette sombre demeure …

Ce nouveau film de Kiyoshi Kurosawa (Vers l’autre rive, Shokuzai…) mise beaucoup sur l’art de l’illusion. Prenant place dans une immense bâtisse, il nous plonge dès le début au coeur d’un univers sépia et nébuleux où s’entassent des fioles de mercure et des plaques argentiques. Grace à sa maitrise du temps, des clairs-obscurs et des silences, le réalisateur parvient à instaurer un certain malaise accentué par la relation ambiguë que mène le couple père-fille.
C’est à Constance Rousseau que revient le rôle singulier de Marie. Le visage triste et énigmatique, cette jeune comédienne nous fait songer à une poupée de porcelaine. Aussi mélancolique qu’une figure baudelairienne, elle possède une beauté fragile et une très belle délicatesse de jeu. A ses côtés, l’imposant Olivier Gourmet (Magnifique dans « Le parfum de la Mandarine ») incarne avec austérité la figure paternelle. A la fois nerveux et taciturne, son personnage vit dans le passé et ne parvient plus à faire la différence entre les rêves et la réalité. Ne percevant sa fille qu’à travers son objectif, il ne comprend pas que ses clichés la font faner et dépérir comme un lys sans eau. Voulant sans cesse immortaliser Marie sur le papier, il nous donne l’impression de la faire disparaitre en lui volant à chacune de ses prises un peu de son âme. Fort heureusement le jeune Jean est là pour servir de « révélateur » . Interprété par Tahar Rahim (Si poignant dans « The Cut »), il apporte une contrepartie palpable et humaine à ce couple lunaire. Bien que candide et maladroit, Jean va tenter de sortir ces deux êtres de leur torpeur. Malgré son enthousiasme et sa bonne volonté, le jeune apprenti va cependant finir par se heurter à la puissance ancestrale des esprits…. Car les fantômes sont bel et bien présents dans le film de Kurosawa: qu’il apparaissent sous la forme de spectres ou laissent entendre sournoisement l’écho de leurs voix, ils hantent les murs de la maison et en ressuscitent perfidement les secrets.

Portés par la superbe musique de Grégoire Hetzel, les spectateurs tombent eux-mêmes sous l’emprise de ces revenants. Au rythme de leurs apparitions et de leurs disparitions, la réalité est progressivement faussée et le doute s’instaure dans nos consciences : Qui est vivant? Qui est mort ? Qui est fou? … Difficile de faire la part des choses car les caractères des personnages ne sont pas francs, leurs relations ne sont pas tranchées, quant à leurs émotions, elles demeurent cloisonnées. Cet entre-deux est certainement intentionnel de la part de Kurosawa pour laisser peser le mystère mais il finit par irriter le spectateur qui aimerait une fois pour toute basculer dans la peur, le drame ou la magie. La seule chose qui nous charme vraiment dans cette oeuvre semi-fantastique est donc sa poésie : poésie des gestes, de la musique, des sentiments, tout cela nous envahit comme une brume jusqu’à nous rendre à notre tour apathiques. Le scénario par contre ne mène nulle part. Il manque à la fois de suspens et de cohérence: les clefs du secret sont trop vite révélées, la passivité du père est excessive à tout point de vue, la soumission de la fille demeure incompréhensible, quant au discours amoureux de Jean envers Marie, il sonne faux et l’on ne comprend pas vraiment la genèse de leur liaison.
Kurosawa aurait du jouer d’avantage avec les codes du fantastique: mieux doser les sentiments de ses protagonistes, leur offrir des dialogues plus subtils, faire perdurer l’intrigue plus longtemps, jongler avec des détails pour nous effrayer et surtout éviter les incohérences en passant du réel à l’imaginaire. Avec tout cela, le film aurait été parfait.

Le secret de la chambre noire? Une oeuvre poétique qui ne maitrise pas assez les codes du fantastique.

Le secret de la Chambre Noire
Un film de Kiyoshi Kurosawa
Avec Tahar Rahim, Constance Rousseau, Olivier Gourmet, Matthieu Amalric
Sortie nationale: le 22 février 2017

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