Gaël Faye : Petit Pays, un Grand livre

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Par Romain Rougé – Premier roman de Gaël Faye, Petit Pays est le récit des deux guerres qui ensanglantent le Burundi et le Rwanda, au début des années 90.

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A travers les mots et le regard d’un jeune adulte hanté par son passé, c’est aussi l’histoire d’une enfance volée et d’un paradis perdu. Un roman poignant qui a reçu le prix Goncourt des lycéens.

« La guerre, c’était peut-être ça, ne rien comprendre. » La vérité sort de la bouche des enfants. A Bujumbura, capitale du Burundi, le tout jeune Gabriel vit avec sa famille dans « l’impasse », pendant la guerre des ethnies qui gangrène la ville.
Au début des années 90, les Hutus et les Tutsis se livrent une bataille tout aussi incompréhensible qu’inquiétante pour lui. Le génocide du Rwanda voisin s’immisce dans le « petit pays » de Gabriel, dont la maman est aussi Rwandaise. Tout son entourage fini par être contaminé par la violence subie ou rendue, jusqu’à ses camarades du même âge. L’incompréhension, là encore. « Je ne suis ni hutu ni tutsi, ai-je répondu. Ce ne sont pas mes histoires. Vous êtes mes amis parce que je vous aime et pas parce que vous êtes de telle ou telle ethnie. Ca, je n’en ai rien à faire ! »

L’amour de l’autre sera compensé par l’amour des livres, les horreurs de la guerre recouvertes sous une chape de contes. « Je ne voulais pas savoir. Je ne voulais pas entendre. Je voulais me lover dans un trou de souris, me réfugier dans une tanière, me protéger du monde au bout de mon impasse, me perdre parmi les beaux souvenirs, habiter de doux romans, vivre au fond des livres. » Gabriel vit en apnée, sa remontée à la surface est violente, à l’image des événements qu’il occulte. Il n’en sortira pas indemne, bien sûr que non.

Bujumbura, mon amour

Raconter la guerre à travers les yeux d’un enfant permet de l’appréhender dans toute son absurdité. Gaël Faye s’atèle à reconstituer un passé en y intégrant l’innocence infantile, en décrivant les petits bonheurs quotidiens à Bujumbura, ses lieux pleins de vie ou la beauté sauvage de l’Afrique qui entoure la ville. Là où l’adulte lambda ne ressent que désespoir et désolation, l’enfant perçoit une mystérieuse émulation d’humains incapables de vivre ensemble. Pour autant, Gabriel se forge une personnalité en assumant ses origines multi-ethniques, en préservant son idéal, toujours ancré à Bujumbura. « J’érigeais mon bonheur en forteresse et ma naïveté en chapelle. » La guerre le fait grandir trop vite.

Le contrecoup, l’autre vision, viendront, mais plus tard, avec l’exil et l’homme qu’il deviendra. Le regard de l’adulte est vide de candeur, Gabriel met alors des mots sur l’indicible. Il réalise, aussi, que cette guerre lui a volé autre chose. « Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore. »

Petit Pays est un Grand livre.

Petit Pays
Gaël Faye
Editions Grasset
224 pages – 18 €

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