Apollinaire : Modernité, érotisme et invitations au voyage

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Par Marc Emile Baronheid – Apollinaire et les femmes, sujet décrété « chapitre impossible », par l’auteure en 1945 de souvenirs sur le Mal-Aimé.

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Apollinaire, poète du fruit défendu

Défi relevé avec bonheur par le libraire-galeriste-éditeur Alexandre Dupouy, docteur ès érotisme, dans un fort volume supérieurement documenté. Insister maladroitement, comme le fait l’éditeur, sur la « hardiesse bucolico-pornographique » du poète, c’est dévoyer et affadir le propos de l’auteur. Certes, les charges épistolaires, les envolées poétiques sont viriles, brutales, impétueuses. « Le maître voudrait te fesser gentiment pour affirmer sa domination. Il te prendrait sous les bras et, assis sur une chaise, tandis que ton derrière serait bien en l’air, il soulèverait ta jupe, écarterait ton pantalon fendu, soulèverait la courte chemise et pan pan mon ptit lou. Puis quand tes yeux seraient bien langoureux, tes yeux merveilleux, on cesserait et pimpam dans les miches ». Une version vitaminée de l’invitation au voyage, une vision abolitionniste de l’attrait du fruit défendu. Il serait malencontreux de penser que, paraissant sous la bannière d’un éditeur dont le catalogue évoque immanquablement la langue d’Esope, cette belle étude est à l’abri du label d’excellence.

Collectionneuse de « fleurs rares », Louise de Coligny-Châtillon, rencontrée en septembre 1914, s’ingéniera à répondre aux assiduités de Guillaume par « un jeu ambigu d’acceptations, voire de provocations, et de dérobades subites qu’il ne s’explique pas, entretenant entre eux une complicité troublante » (Michel Décaudin, dans la préface aux Poèmes à Lou). Ardente, fuyante, rouée, partenaire douée pour l’érotisme raffiné et violent, Louise se jouera d’un amant auquel son détachement arrachera un chant de pinson aveugle.

Apollinaire et Paul Guillaume, amitiés et correspondances

Les lettres échangées entre Apollinaire et Paul Guillaume sont d’un autre ordre. Vers 1907, Apollinaire projette un livre sur L’Art chez les sauvages, année où Picasso a incorporé aux Demoiselles d’Avignon les ressorts magiques et plastiques des arts allogènes. En 1911, le poète noue une amitié avec Paul Guillaume, jeune employé d’un garage, passionné d’art nègre. Apollinaire va ouvrir toutes les portes à celui qui deviendra rapidement un considérable marchand d’art. Leur correspondance – 120 lettres – et l’appareil explicatif qui éclaire sa publication attestent un même sens aigu de la modernité et une réelle proximité. « Je réfléchis que pour Modigliani il vaudrait mieux peut-être ne pas lui faire de contrat mais lui acheter bon marché. On dit que jusqu’ici il vendait ses dessins de 0fr50 à 3 frs ; par conséquent il ne devrait pas faire trop le malin devant une offre convenable. Pourtant il se cabre comme une vierge que l’on voudrait outrager ». On peut être enthousiaste à 19 ans, astucieux dans la foulée, puis afficher déjà, 4 ans plus tard, ce réalisme qui incarne l’esprit marchand. Le volume vaut aussi par les documents illustrés qui l’agrémentent.

Paul Guillaume n’est pas le seul à avoir pris le sillage d’Apollinaire, acteur central de la révolution esthétique qui porta l’art moderne sur les fonts baptismaux. Témoin, passeur, acteur des bouleversements du début du XXe siècle, Guillaume A fut entre 1902 et 1918 un découvreur et un critique d’art porté, écrira Breton en 1952, par des instruments d’arpentage mental comme on n’en avait plus vus depuis Baudelaire. Une exposition qu’il serait injurieux de manquer par qui se pique d’intelligence esthétique, explore le vol de cet albatros foisonnant. A travers un parcours thématique, elle envisage un univers allant du Douanier Rousseau à Matisse, Braque, Delaunay, du cubisme à l’orphisme et au surréalisme, des sources académiques à la modernité, des arts premiers aux arts populaires, avec une attention particulière aux liens du poète et de Picasso, son compère involontaire dans l’affaire des statuettes volées qui valurent à Guillaume un séjour à la Santé. L’avantage incomparable d’un catalogue, lorsqu’il est aussi remarquablement conçu que celui adossé à l’exposition du musée de l’Orangerie : il évite les queues, l’éminente radicalité des Dupont Lajoie, les escouades de lycéens qui maugréent, les rafales de bâillements des gardiens, les rots lestés d’ail et les araignées roses. La déambulation, comme lanterne magique et libératrice. Attention peinture franche !

Les quatres livres :

Apollinaire et les femmes
Alexandre Dupouy
La Musardine
18 euros

Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume – Correspondance 1913-1918
Édition de Peter Read
Gallimard
Musée de l‘Orangerie.
19,50 euros

Poèmes à Lou, précédé de Il y a
Guillaume Apollinaire
Gallimard
Edition Collector parue à l’occasion de « 50 ans de poésie Gallimard ».
7,20 euros

Apollinaire – Le regard du poète
Laurence des Cars, Claire Bernardi, Cécile Girardeau,
Gallimard/Musées d’Orsay et de l’Orangerie,
45 euros

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