Les Fausses Confidences de Luc Bondy: mais où est passé le marivaudage ?

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Ce devait être la pièce la plus attendue du printemps 2015. Elle nous laisse cependant désenchantés. Mises en scène par Luc Bondy, ces Fausses Confidences ont acquis une teinte bien trop contemporaine pour nous laisser séduire…

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L’intrigue en est simple, comme le veut Marivaux: Dorante est un jeune bourgeois, amoureux fou de la riche Araminte. Grace aux manigances de son valet, il se fait embaucher auprès d’elle en tant qu’intendant et tente de la séduire en dépit de leur différence sociale. Pour mener cette belle parade pré-nuptiale, Luc Bondy a fait appel à de grands comédiens: c’est, en effet, à Isabelle Huppert que revient le rôle d’Araminte. Déambulant en tenue Dior perchée sur ses fins escarpins, elle confère à son personnage une allure décontractée de fashionista qui nous éloigne de la préciosité confinée propre au XVIIIe siècle. Cette transposition contemporaine crée un étrange décalage entre le texte châtié de Marivaux et la liberté de ton et d’attitude de l’actrice. A mille lieues de la veuve sans vanité des Fausses Confidences, Luc Bondy a choisi de faire d’Araminte une femme moderne qui entend contrôler ses émotions et gérer seule ses affaires. Egale à elle-même, Isabelle Huppert transforme donc cette vertueuse bourgeoise en une névrosée sensuelle et nonchalante. Sculpturale dans sa robe plissée et sa chevelure rousse en cascade, la comédienne semble avoir toujours 30 ans. Aussi fantasque qu’indolente, elle fait preuve d’une aisance scénique inimitable et se laisse porter avec ivresse au fil du languissant vertige amoureux de ces Fausses Confidences: dansant, glissant ou titubant sur scène, elle s’autorise même à faire quelques gracieux pas de Tai Chi face aux spectateurs un brin perplexes…
A ses côtés, le jeune Louis Garrel interprète avec finesse la figure de Dorante. Bien fait de sa personne, il a la séduction de l’amoureux romantique sans toutefois posséder la volupté du galant. Empêtré dans son costume sombre de jeune intendant désargenté, il a une certaine distinction mais manque totalement de conviction pour un amoureux transi! Trop froid, trop lisse, il semble avoir abandonné toute sa passion dans les coulisses et ne parvient nullement à nous faire croire qu’il se meurt d’amour pour sa dame. Certes, l’on conçoit qu’il convoite Araminte mais sa cour vacille sans cesse au lieu de s’embraser…

En assistant à la partition théâtrale de ce duo tant attendu, l’on éprouve donc une certaine déception. Leur jeu se traîne en longueur quant au couple vers lequel ils tendent, il est aussi distant que désincarné. Où sont passés l’humour et la fraicheur du marivaudage? Où sont partis les mensonges, les manigances et tout ce chassé-croisé de sentiments que révèle si bien cette prose enchanteresse ? Tout est trop feutré, trop intimiste : non seulement l’exploration de la passion amoureuse y est inconsistante mais les deux protagonistes manquent eux-même de relief et d’intensité. Araminte passe de la compassion envers Dorante à la surprise de l’amour de façon monocorde, sans aucun embrasement! Nulle trace d’enthousiasme, de joie dissimulée ou même de frissons suggérés. Les comédiens sont bons, mais ils paraissent éreintés à tel point que le public a parfois du mal à capter leurs paroles: entre Isabelle Huppert qui minaude et Louis Garrel qui marmonne sous son nez, on ne parvient à se consoler que grâce aux ponctuelles apparitions de la pétaradante Bulle Ogier. Semblable à une mégère punk et déjantée, elle se faufile avec beaucoup d’autodérision dans le rôle sophistiqué et rebelle de la mère d’Araminte. Ouf! Un peu de fantaisie!

Les Fausses Confidences de Bondy? Une mise en scène qui laisse la part belle à ses acteurs mais les entraine hélas dans un autre univers que celui de Marivaux…

Les fausses confidences
de Marivaux
Mise en scène Luc Bondy
Avec Jean-Damien Barbin, Manon Combes, Louis Garrel, Isabelle Huppert, Yves Jacques, Sylvain Levitte, Jean-Pierre Malo, Bulle Ogier, Bernard Verley

Odéon – Théâtre de l’Europe
Paris 6e

Jusqu’au 27 juin 2015 à 20h

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