Teahouse : Comment le Pays du milieu intègre le marionnettiste et sa culture ?
Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ C’est toujours un plaisir de retrouver Yeung Faï sur les planches et redécouvrir ses mimiques attachantes. Cet artiste issu d’une grand famille de marionnettistes chinois présentait jeudi 4 juin 2015 au théâtre de l’Atalante, dans le cadre du Pyka Puppet Estival, « Teahouse ». Une nouvelle création qui parcourt avec légèreté et gravité l’adaptation de ses pairs aux mutations culturelles et économiques de la Chine.
« Teahouse » débute sous le toit d’une maison de thé, dans des temps lointains et pittoresques. Dans la tradition, ce lieu de culture abritait les adorateurs du breuvage national, les joueurs de Go ou de Mah-jong ; on y négociait des affaires, venait y boire les paroles de quelques conteurs relatant les hauts-faits de l’histoire… ou assister à des spectacles de marionnettes. Au gré des changements politiques, les maîtres et leurs pantins ont affronté bien des difficultés. Condamnés, châtiés, ils ont dû se cacher pendant la révolution culturelle, affronter la guerre et le sang, puis rivaliser avec l’ogre capitaliste et l’émergence de divertissements plus populaires tel que le karaoké. Comment le Pays du milieu, dont la croissance économique et démographique fait trembler l’Occident, intègre le marionnettiste et sa culture ? Telle est la question que nous pose Yeung Faï, non sans rhétorique.
Ce manipulateur est un artiste de haut vol. Son talent, sa dextérité et ses gymnastiques manuelles en font l’un des grands noms de la scène internationale, mais c’est aussi un fervent défenseur de son art. À chacune de ses créations, il rappelle combien cette discipline ancestrale est une fenêtre sur le monde contemporain. Dans « Blue jeans » ( notre chronique ICI), il mettait en scène une poupée de la taille d’un enfant pour dénoncer l’asservissement de ses concitoyens, broyés par une industrie du textile corrompue et inhumaine. Chez le maître des marionnettes, l’objet inanimé sert un théâtre engagé et permet de porter un regard lucide, critique et pertinent sur la Chine moderne. Il réinvente cet art ou plutôt, le rappelle à ses origines de miroir de la condition humaine.
L’autre force de Yeung Faï réside dans ce retour aux sources. La poupée étant dirigée par son manipulateur, elle n’en reste pas moins un être à part entière, un partenaire de jeu. Dans « Teahouse », on retrouve le sel d’un de ses précédents spectacles, « Le maître des marionnettes » (véritable chef d’oeuvre), où il interagissait avec le petit comédien qu’il tient aux bouts des doigts. Car Yeung Faï n’est pas homme qui se terre dans l’ombre mais dévoile au contraire tout son jeu. Ces échanges entre l’être de chair et d’os et celui de bois et de tissu participent à la singularité de son œuvre, dont le metteur en scène Grégoire Callies, avec lequel Yeung Faï collabore depuis plusieurs années, se révèle être également l’instigateur.
Si dans ces précédentes créations, la scénographie se nourrissait d’installations vidéos, l’espace scénique se réduit cette fois-ci au simple castelet. Du moins en apparence. Le scénographe Jean-Baptiste Manessier et le décorateur Éric Jolivet ont joint leur force pour inventer un objet modulable et d’une redoutable ingéniosité. Dissimulés dans un caisson, plusieurs panneaux de décors nous embarquent successivement dans l’intimité d’une maison de thé, dans le viseur d’un sniper, à la lisière d’un grillage barbelé… « Teahouse » est un voyage miniature en Chine, « ce lion endormi qui fera trembler le monde lorsqu’il s’éveillera » prédisait Napoléon. Le lionceau de Yeung Faï couve les billets amassés par les puissants tandis que les marionnettes, du haut de leur petite taille, se battent au nom de la beauté d’un art. En perte de vitesse, certes, mais toujours aussi alerte.
Tea House / Création mai 2015
Un spectacle de Yeung Faï
Mise en scène: Grégoire Callies
Tournée:
– Festival Passages à Metz : du 07 au 14 mai 2015
– Internationales Figurentheater-Festival (Erlangen) : les 16 et 17 mai 2015
– Pyka Puppet Estival ( Théâtre de l’Atalante – Paris) : le 4 juin 2015
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