Daisy : Rodrigo Garcia met « les cafards à l’abri sous les mots »

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Rodrigo Garcia semble l’incarnation du paradoxe : affichant une liberté d’esprit arrogante et une volonté ostentatoire de systématiquement jouer dans le registre de la provocation, en ajoutant à sa feuille de salle un imprimé truffé de références raffinées qui ont inspiré son texte, il donne l’impression de vouloir être perçu autrement que comme un fauteur de troubles et réhabilité par une frange – non négligeable – de dissidents à son art. Emily Dickinson, Beethoven, Vélasquez, Mathias Grünewald, autant de noms que l’on met en exergue dans une présentation encyclopédique pour prouver au spectateur que la forme excentrique ne doit pas gommer toute la finesse du fond? Rodrigo Garcia a-t-il besoin de prouver qu’il n’est pas un simple agitateur?

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 » J’ai mis les cafards à l’abri sous les mots »: une bien étrange manière de débuter cette pièce qui décevra tous ceux qui se ruent aux spectacles du directeur du CDN montpelliérain pour se repaître de scènes choc…car seule la fin satisfait sur ce point et l’on y découvre un Juan Loriente -acteur kamikaze – se bousiller les poumons à la fumée de gazole presque avec lassitude ( parce qu’après avoir entendu sous toutes ses formes les acteurs ânonner l’indifférence naturelle que l’on peut avoir pour une vie absurde et privée de toute saveur, on imaginait forcément une fin de cette teneur)… et c’est un peu effrayant, en soi, d’avoir tellement l’habitude d’en voir des vertes et des pas mûres sur le plateau de Rodrigo Garcia que la mise en scène d’un suicide provoque presque l’agacement. Daisy ,Mickey et Golgota prouvent assurément que l’on peut tout dénoncer mais qu’il faut savoir doser le « spectaculaire » car le public se lasse de tout et surtout de l’excès en tout. Est-ce l’objectif? Le metteur en scène veut-il mesurer notre immobilisme face à l’inacceptable? notre détachement face à l’absurdité de l’existence et du monde? En tous cas, il n’agit en rien sur lui…et l’on ressort  » à vide ».

Si le plateau est un espace de jeux où toutes les expérimentations sont permises ( et souhaitables! ) lors des répétitions, comment prendre au sérieux une pièce où l’ineptie règne ensuite lors des représentations? La présence des chiens en est une preuve consternante et quand on voit qu’il a fallu le regard d’un éducateur canin pour les faire courir et haleter sur le plateau, on ne peut que se demander de qui se moque-t-on?! Et que font, par ailleurs, les deux performers en perruque Louis XIV à quatre pattes sur le sol pendant qu’on joue du Beethoven? Si l’on a pu, ces dernières semaines, entendre des opposants de Rodrigo Garcia signer des pétitions et s’insurger des mauvais traitements qu’il ferait subir aux animaux, l’un des êtres vivants les plus à plaindre sur le plateau de Daisy, c’est surtout le comédien que l’on malmène sans cesse.

De façon générale, l’on regrette que Rodrigo Garcia noie ses idées – souvent pertinentes- dans des effets scéniques grotesques ou les empile dans une logorrhée diarrhéique qui annule toute la pertinence des propos. La teneur poétique de son texte nécessite une concentration impossible au coeur du chaos qu’il crée. Ce torrent de mots nous submerge et a un effet hypnotique qui s’étiole rapidement car les pensées s’enchaînent sans véritable ligne directrice.

Alors ça parle de quoi, Daisy, en fait? Daisy, c’est « le nom d’une petite chienne » et de l’épouse de « Donald Duck ». Après Mickey, Donald donc. Soit, mais encore? On nous dit que c’est un travail sur la « matière », et plus précisément « la littérature »; et, effectivement, le mot et le livre y ont une place de choix. Selon Rodrigo Garcia, les mots sont  » désertés d’émotions » , c’est le  » dicteur » qui donne l’émotion au mot. On regrettera que le dramaturge, écrivant dans sa langue native, n’ait pas mieux travaillé la traduction française qui ne permet pas bien de comprendre sa démonstration avec ses exemples de mots. Le verbe est un élément prépondérant de son travail et , de façon anecdotique, il fait mention avec justesse de l’utilisation abusive du  » smiley », qui, selon le contexte, donne assurément l’impression que le monde  » se torche le cul avec le langage. » Pourquoi, alors, Rodrigo Garcia ne s’en tient pas seulement au langage et aux mots dans Daisy? En effet, dans Daisy, globalement, sont déclinées, en fait, les sempiternelles obsessions de l’auteur qui deviennent lassantes tant elles ne se renouvellent pas d’un spectacle à l’autre et enfoncent tout de même beaucoup de portes ouvertes ( le refus de mener une vie « normale », le consumérisme etc.)… et il suffira de citer les applaudissements polis qui ont récompensé la première de Hth pour confirmer l’assentiment général à ce sujet.
En vrac – vous apprendrez dans Daisy que  » nous vivons une époque sans touffe » ( évocation du malaise de cette mode des sexes entièrement rasés qui ressemblent à ceux des petites filles, reflet d’une société qui ne veut pas vieillir ou qui se pervertit), que nous vivons à l’ère d’un ‘« hyperréalisme intenable » , subissant un monde consumériste et matériel. Ce qui justifie cette phrase rabâchée par Gonzalo Cunill «  Jusqu’à ce jour je n’ai pas aimé vivre » qui peut, certes, faire écho en chacun de nous. Les rapports amicaux y sont dépeints comme hypocrites et mesquins et les « bons amis » pratiquent, au coucher  » la double morale en duo » , ce qui fait que  » Nous sommes le résultat des interminables notes de bas de pages qu’on dit sur nous ». Dans un monde si mesquin et qui a perdu tout idéalisme, «  rêver ( forcément) ça coûte » car c’est faire le constat d’une réalité qui déçoit…Il y a pourtant  » de la musique à l’intérieur de la plante » que nous sommes, nous dit l’auteur…

Daisy? Un spectacle dont la métaphore canine ne semble qu’un prétexte et est fort peu exploitée. Si les effets de lumières et la scénographie sont pertinentes et esthétiques, le reste se noit dans l’ego du metteur en scène qui ne sait pas mettre son « texte » au service du plateau. Ce dernier y trône donc en maître totalitaire et s’auto-mutile avec son acharnement à garder le premier rôle. Quant à la prestation musicale du quatuor à cordes, si elle est très mélodieuse, on ne voit pas bien l’intérêt de la commenter car elle n’a aucune légitimité au sein de ce spectacle sans queue ni tête…

Daisy

Texte, scénographie et mise en scène : rodrigo garcía
Durée : 1H45
Spectacle en espagnol surtitré
Traduction : Christilla Vassero
Avec Gonzalo Cunill et Juan Loriente
Assistant à la mise en scène: John Romão
Création lumières : Carlos Marquerie
Création vidéos : Ramón Diago
Espace sonore : Daniel Romero
Sculpture «Daisy» : Cyrill Hatt
Perruques : Catherine Saint-Sever
Costumière : Méryl Coster
Construction décor : Frédéric Couade
Educateur canin: José-Claude Pamard
Direction technique : Roberto Cafaggini
Régisseur son :Vincent Le Meur
Régisseur plateau : Jean-Yves Papalia
Direction technique: Roberto Cafaggini
Quatuor à cordes: Quatuor Molière avec Julie Arnulfo,Ludovic Nicot (violons), Yves Potrel (violoncelle),Éric Rouget (alto)
Spectacle de la compagnie Rodrigo García
Production : Bonlieu Scène nationale Annecy
Coproduction La Bâtie – Festival de Genève avec le soutien de Saint-Gervais Genève Le Théâtre dans le cadre du projet PACT bénéficiaire du FEDER avec le programme INTERREG IV A France-Suisse
Production déléguée : Bonlieu Scène nationale Annecy

Dates des représentations:

– du 31mars au 2 avril 2015 à 20h à hTh (Grammont)

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