Le faiseur des Tréteaux de France : une comédie impayable !

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Écrite en 1840 sous le titre de Mercadet, la pièce d’Honoré de Balzac ne prendra son titre de «  Le Faiseur » qu’en 1957 , dans une nouvelle version créée par Jean Vilar. Il y est question d’un banquier affairiste qui n’a de cesse de trouver de nouvelles façons de faire de l’argent avec de l’argent. Trompeur de premier ordre et menteur aguerri, ses roueries le rattrapent de facto et l’obligent à donner le change chaque jour à un bal de créanciers. Mercadet est un personnage sans scrupule qui mêle même sa famille à ses affaires – « une femme est une enseigne pour le spéculateur » – et n’hésite pas de surcroît à faire du mariage de sa fille Julie un nouveau prétexte à spéculer, repousser les délais de remboursement de ses emprunts et extorquer de nouvelles victimes: « Non seulement elle est sans dot mais elle est dotée de parents pauvres ». Lorsque les créanciers deviennent trop pressants, Mercadet invoque alors un ancien associé, Godeau, qui est parti faire fortune aux Indes et dont il argue qu’il rembourserait généreusement ses dettes à son retour. Un Godeau qu’il va être forcé de faire revenir avec la complicité forcée de Michonnin de la Brive, un dandy ruiné qui convoitait sa fortune en faisant la cour à Julie.

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Les dettes de Mercadet ont la vedette dans cette pièce ciselée à l’humour où s’enchaînent les duperies, les faux-semblants et les arroseurs arrosés. Spéculateurs, usuriers – ces « capitaliste(s) qui se (font) (leur) part d’avance » – , débiteurs et créanciers : c’est le capitalisme financier dont on se gausse ici…et la pièce de Balzac a en cela des résonances contemporaines troublantes. « Il n’y a nul malheur que la fortune » ne console…voilà toute la philosophie de Monsieur Mercadet qui désespère d’avoir conçu une fille spirituelle et vertueuse, non seulement laide mais « poétique » : « Je vais à la bourse et ma fille se jette dans les nuages ». Ce « Napoléon des affaires » , « toujours prêt à voler son prochain », ne comprend pas la culpabilité de son épouse qui l’incite à cesser ces frasques monétaires : « Où finit la probité dans un monde commercial? » . « Tout crédit implique mensonge », « un désordre bien rangé, on le domine…j’ai pris modèle sur le gouvernement », voilà qui est dit. Mercadet ne renoncera jamais.
Face à cette vision trivialement mercantile, Honoré de Balzac fait élever la voix des amoureux, qui, gauches et passionnés, bien que malmenés – et parfois même tentés d’être influencés par cette logique du profit – résistent et demeurent, avec Mme Mercadet, une lumière d’espoir dans ce monde de l’argent.

Les Tréteaux de France sous la direction de Robin Renucci ont l’excellence comme principe directeur ; pas une fausse note n’est à déplorer. La scénographie de Samuel Poncet, la lumière de Julie-Lola Lanteri-Cravet, les costumes de Thierry Delettre et les coiffures et maquillages de Jean-Bernard Scotto sont, pour commencer, un écrin aussi raffiné que pertinent, aussi réaliste que brodé de fantaisie délicieuse, qui permet aux comédiens de mieux faire exploser encore sur le plateau l’incroyable énergie qui les meut. Barbes en collerette, hauts de forme, redingotes, robes romantiques aux manches bouffantes, perruques et coiffures très XIXème, des effets de rembourrage burlesques sont même ajoutés aux costumes des hommes qui ont la bedaine proéminente ou le sexe saillant selon leur âge et leur situation. Ce qui impressionne en premier lieu? la complicité et l’énergie du jeu des comédiens et ce, dès le jour de la première! Le geste est juste et précis, frétillant et tonique, si bien qu’ils semblent souvent que les personnages sont montés sur ressorts, étonnantes marionnettes dirigées par une main démiurge qui ne les épargne pas. Robin Renucci n’hésite pas à emprunter aux topoi du vaudeville et à la Commedia dell’Arte pour ajouter encore du piquant à ce texte truffé de situations cocasses et de jeux de mots goûteux. Le comique de caractère, de geste, de situation et de langage ne cessent de se donner la réplique pour le plus grand bonheur du public. Les comédiens qui ne jouent pas restent souvent en bord de scène, spectateurs amusés que l’on sollicite à l’occasion, pour un accessoire ou une réaction. Si tous les comédiens de cette troupe conséquente sont pertinents et incarnent un caractère aussi saillant et singulier que drôle, on applaudira tout particulièrement Bruno Cadillon qui interprète un Mercadet cynique jusqu’à la moelle, Judith d’Aleazzo et Gérard Chabanier, domestiques pétaradant d’énergie et de bonne humeur communicative, Jeanne Brouaye, Julie adorablement godiche à laquelle le nez-postiche donne des airs de souris, et enfin son amoureux gauche Minard, engoncé et frêle, incarné par Sylvain Méallet.
Robin Renucci restitue avec génie, élégance et générosité la substantifique moelle de l’oeuvre balzacienne : les spectres apparaissant dans le cauchemar de la faillite finale en sont d’ailleurs une conclusion prégnante. Et, lorsque l’orage a cessé son vacarme étourdissant, que le bal des lumières, tremblotantes et baignées de nuit – superbe ! – prend congé, que Godeau, miraculeusement, est de retour pour achever cette pièce en comédie, on rit de la version « West Side Story » du chant final où s’opposent la raison financière des mâles à l’idéalisme amoureux des « purs »

Bravo!

« Aujourd’hui tous les sentiments s’en vont, poussés par l’argent »

Le faiseur
D’honoré de Balzac
Mise en scène: Robin Renucci
Adaptation: Evelyne Loew
Avec Judith d’Aleazzo, Tariq Bettahar, Jeanne Brouaye, Bruno Cadillon, Daniel Carraz, Gérard Chabanier, Thomas Fitterer, Sylvain Méallet, Patrick Palmero, Stéphanie Ruaux
Production: Les Tréteaux de France
Coproduction: Théâtre Jacques Coeur, l’Arc- Scène Nationale du Creusot
Avec le soutien du Conseil Général de l’Eure

Crédit-photo: Blandine Armand

Dates des représentations:

Les 27, 28 et 29 mars 2015 au Théâtre Jacques Coeur à Lattes (34) – premières représentations de la pièce.

Dimanche 27 septembre 16h au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine

L’Arc, Le Creusot – 16 octobre
Théâtre 95, Cergy-Pontoise – du 4 au 7 novembre
Théâtre Jean-Vilar, Suresnes – 12 et 13 novembre
Centre d’Art et de Culture, Meudon – 24 et 25 novembre
Le Forum, Fréjus – 27 novembre
Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon – 3 et 4 décembre
Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine – 11 décembre
L’Hexagone, Meylan – 14 et 15 janvier
Théâtre de Vergeze – 29 janvier

La suite des dates de la tournée bientôt ici

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